Marius SESTIER

(Sauzet, 1861- Sauzet,1928)

sestier

Jean-Claude SEGUIN

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Joseph, Antoine Sestier (Sauzet, 1808-Sauzet, 16/01/1873) épouse Euphrasine Arnaud (Sauzet, 1809-Sauzet, 1882). Descendance :

  • Euphrasine, Elisa Sestier (Sauzet, [1832]-Sauzet, 22/02/1853)
  • Joseph Euphrosine Sestier (Sauzet, 05/12/1836-Sauzet, 17/12/1894) épouse (Grane, 09/02/1858) Marie, Eugénie Ducros (Grane, 02/09/1837-). Descendance:
    • Marie, Josephine, Elisa Sestier (Sauzet, 19/04/1859-) épouse (Sauzet, 31/07/1888) Elie, Joseph Julien (Gap, 31/12/1858-)
    • Arthur, Eugène, Joseph Sestier (Sauzet, 19/05/1860-Sauzet, 27/08/1861)
    • Marius. Ely, Joseph Sestier (Sauzet, 08/09/1861-Sauzet, 1928) épouse (Beaucaire, 27/09/1893) Marie, Louise Puech (Beaucaire, 27/09/1873-Grenoble, 1950). Descendance:
      • Madeleine, Joséphine, Marie, Rose Sestier (Lyon 3e, 08/11/1894-La Tronche, 12/11/1977) épouse Paul Jeune.
      • Eugène, Aimé, Marius, Joseph, Jackson Sestier (Lyon 3e, 11/03/1898-Marseille, 10/11/1979) épouse (Lyon 4e, 12/01/1920) Marguerite, Perrine Hildgen (Lyon 3e, 22/05/1897-)
    • Eugène, Louis, Jérémie Sestier (Sauzet, 19/06/1863-Sauzet, 21/08/1864).
    • Louis, Eugène, Leclair Sestier (Sauzet, 20/12/1864-Sauzet, 20/03/1897)
    • Victor Sestier (Sauzet, 23/04/1866-) épouse (Loriol, 09/07/1914) Joséphine, Lydie Sestier.
    • Daniel, Louis, Eloi, Germain Sestier (Sauzet, 14/09/1867-Sauzet, 01/09/1868)
    • Marie, Eugénie, Germaine Sestier (Sauzet, 18/04/1869-Montélimar, 03/01/1952)
    • Borny, Marie, Louise, Aminthe Sestier (Sauzet, 14/08/1870-Sauzet, 06/04/1871)
    • Honoré, Léon, Eugène, Antoine Sestier (Sauzet, 03/09/1872-Sauzet, 06/09/1872)
    • Marie, Eugénie Sestier (Sauzet, 11/07/1873-)
    • Benjamin, Léon, Émile Sestier (Sauzet, 17/02/1875-)
    • Eloi Sestier (Sauzet, 02/12/1879-)

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Les origines (1861-1895)

Fils du propriétaire du Café de la Poste à Sauzet, Marius Sestier est le troisième enfant de Joseph Sestier et Marie Ducros. Il est recensé avec sa famille, à Sauzet, en 1866, en 1872 et en 1876.

sauzet cafe poste
Sauzet (Drôme)- Place du Bourg (c. 1915).

Après avoir poursuivi sa scolarité, il engage à Lyon des études de pharmacie avant d'être appelé sous les drapeaux. Incorporé à compter du 14 novembre 1882 à la 21e section d'infanterie, il arrive au corps le 22 du même mois. Il fait la campagne d'Afrique entre le 20 novembre 1882 au 25 juillet 1886. Il passe caporal le 4 février 1885. Parti en congé de convalescence de deux mois le 25 juillet 1886, il est maintenu dans ses foyers (40 cours Richard-Vitton) avant de passer dans la réserve de l'armée active le 1er juillet 1887. Il réside par la suite à Paris (Pantin, 109 rue de Paris. 29/11/1888-11/09/1889). En 1890, il obtient son diplôme de pharmacien de 2e classe. À partir du 5 septembre 1890, il réside à Lyon, au 177, avenue de Saxe où il ouvre une pharmacie. Deux ans plus tard, il épouse la Beaucairoise Marie, Louise Puech, et dans l'année qui suit, 1894, cette dernière donne naissance à Madeleine Sestier. Le père poursuit ses activités dans sa pharmacie jusqu'en 1895 alors que l'on commence à parler de cinématographe à Lyon.

Le cinématographe Lumière (1896-1898)

L'intérêt que suscite le cinématographe Lumière chez Marius Sestier - a-t-il assisté à une présentation au cours de l'année 1895 ? - trouve une première manifestation dans un cahier personnel intitulé "Publicité" dans lequel on trouve d'une part des exercices de langue anglaise et, d'autre part, de multiples coupures de journaux consacrées au cinématographe Lumière de la presse française principalement, entre janvier et juillet 1896.

Marius Sestier, qui est pharmacien de seconde classe, va suivre l'affaire du cinématographe depuis les séances du 28 décembre à Paris et du 25 janvier à Lyon. Il va ainsi collecter bon nombre d'articles qui rendent compte de cet événement extraordinaire et de son intérêt pour le nouveauspectacle. L'une des questions importantes soulevées par le cinématographe est celle du mode de recrutement des opérateurs. Plusieurs hypothèses ont été émises, mais le plus probable est qu'il y ait eu des modes de recrutements diversifiés. Dans le cas de Sestier, nous savons qu'il a appartenu à une loge maçonnique dont faisait également partie Auguste Lumière, mais il n'y est entré qu'en 1905 alors qu'Auguste Lumière en fait déjà partie depuis 1881.

Une autre affinité,et non des moindres, est l'appartenance réciproque de Marius Sestier et d' Auguste Lumière au monde de la médecine, plus particulièrement celui dela pharmacie. Nous savons que le second, qui fait des investigations, n'est pas autorisé à commercialiser les produits qu'il invente, c'est donc Marius Sestier, pharmacien en gros qui s'en chargera. Cela explique qu'après la première guerre mondiale, ils soient restés très liés. Il s'agit là de l'un desmodes de recrutement possible, mais nous en avons décelé d'autres.L'indiscutable intérêt que fait naître le cinématographe chez MariusSestier le conduit alors à prendre une décision radicale : il part avec son épouse ... en voyage de noces en Inde et en Australie. Pour réaliser ses projets, il vend sa pharmacie et emporte le cinématographe et les films pour en faire de multiples présentations.

2. La concurrenceD'après les coupures de presse que Marius Sestier recueille, il sembleque son séjour en Inde se soit déroulé sans qu'il ait eu à affronter la concurrenced'autres opérateurs ou d'autres cinématographes. tel ne fut pas lecas en Australie où la situation se révèle beaucoup plus complexe. À Sydney, ville où Sestier arrive le 16 septembre 1896, la concurrence estdéjà en place. La presse, non sans humour, se fait l'écho de la présenced'un autre« cinématographe», le kinetomatograph dont s'occupe un certainJoseph Mac Mahon :The kinetomatograph which is the kinetoscope writ large, was on private exhibitionat Sydney Cri. one night last week under Joseph M'Mahon's management.The difference between the new thing with the long name and the old thing withthe name that isn't much shorter is that the latter shows the dog-fight in miniaturethrough a glass, so that you see the whole disturbance just as it really was.If it is a really cordial and enthusiastic dog-fight the effect is very gratifying; infact, it is almost as good as the real thing, barring the yapping, and as you canhave the same fight as often as you like without wearing out the dogs, it makesthe pleasure go fttrther. The new invention is to be on public exhibition shortly6 •6. The Bulletin, 12 septembre 1896. Traduction de cet article: Le kinetomatograph, qui esten quelque sorte le kinetoscope écrit en majuscules, a fait l'objet d'une présentation privéeau Sydney Cri[ terion?] un soir de la semaine dernière, sous la direction de Joseph M'Mahon.La différence entre le nouvel appareil au nom si long et l'ancien appareil au nom guère pluscourt est que le second montre un combat de chiens en miniature dans une lunette, si bienqu'on voit l'ensemble de l'action telle qu'elle s'est déroulée. S'il s'agit d'un combat réellementcordial et enthousiaste, l'effet est très satisfaisant; en fait, il égale presque la réalité,aux aboiements près, et comme il est loisible de répéter le combat aussi souvent qu'on lesouhaite sans que les chiens deviennent épuisés, le plaisir est prolongé. La nouvelle inventiondoit être présentée au public prochainement.36Nous ignorons si une séance publique fut réellement organisée, maisJoseph Mac Mahon fera de nouveau parler de lui. Tel n'est pas le cas d'unautre «cinématographe» qui est déjà installé lorsque notre homme atteintSydney. Au Tivoli Theatre, Mr. Harry Rickards organise avec la complicitéde James Sharp des soirées où les projections cinématographiques semêlent aux numéros du prestidigitateur Carl Hertz :The Photo-Electric sensation of the world. This is a wonderful development ofinstantaneous photography by means of a powerful electric machine, producingevery motion of real life with marvellous fidelity7 •Le cinématographe du Tivoli Theatre fonctionnera jusqu'au 14 octobreen variant régulièrement ses programmes8 et disparaîtra sans autre explicationapparente. Face à cette situation Marius Sestier tente de riposterde deux manières. D'un côté, il a fait passer plusieurs articles dans la presselocale et, dès le 18 septembre, organise une séance privée au Lyceum Theatrede Sydney où sont invités les journalistes :M. Marius Sestier arrived in Sydney last week direct from Paris to exhibit inAustralia the French Cinematographe, invented by Messrs. Lumière. A successfulprivate exhibition of the machine was given at the Lyceum last Friday, and shortlya public dernonstration of its power will be made. The Lumière invention is theone which bas been drawing crowds at the Empire Theatre, London, andelsewhere9 •D'un autre côté, il échange avec la maison Lumière plusieurs« câblegrammes» qui permettent de mesurer à la fois l'inquiétude du premier etl'impuissance des seconds :« Concurrent usurpant nom Cinématographe. Câblez ordres. Expédiez nouveautés.Sestier » ( expédié le 21 septembre).7. Dailg Telegraph, 22 septembre 1896. Traduction: La merveille Photo-Électrique du monde.Il s'agit d'un prodigieux développement de la photographie instantannée au moyen d'unepuissante machine électrique, qui reproduit tous les mouvements de la vie réelle avec uneétonnante fidélité.8. Celui du 22 septembre au 15 octobre est le suivant : Seascape « with waves in motion »,Scene from Trilbg, Westminster Bridge, London Street Scene « with buses, cabs, pedestrians,etc., all in life-like motion .. , Kempton Park Races, Militarg Review, Skirt Dancers, Acrobats,Humorous Pictures (22.09.96), The Great Niagara Falls, The Oxford and Cambridge BoatRace, The Villane Blacksmith, Review of the Troops, An Interrupted Game of Cards, Negro PlantationScerze, Trained Cats, A Famous Danseuse, The Vendetta, Dog Serpentine Dance ( 03.10.96 ).9. Herald, 22 septembre 1896. Traduction: Arrivé à Sydney la semaine dernière, M. MariusSestier vient directement de Paris pour montrer en Australie le Cinématographe français,invention de MM. Lumière. Une démonstration privée de l'appareil a été donnée avec succèsau Lyceum vendredi dernier, et une démonstration publique de ses capacités aura lieuprochainement. C'est l'invention des frères Lumière qui depuis quelque temps attire lesfoules à l'Empire Theatre de Londres, et ailleurs.37« Impossible empêcher. Négatif ouvert Douane. Soignez emballage. Lumière »( reçu le 24 septembre).« Urgence. Cablez concession exclusive pour toute Australasie. Grosse affaire.Envoyez vingt pellicules sensibles. Première poste. Quarante par Australien. Débutlundi. Sestier » ( expédié le 25 septembre).« Donnons exclusivité jusque mois de mai. Expédions pellicules. Choisissez mieuxsujets. Lumière» ( reçu le 27 septembre).Comment expliquer le pessimisme et l'impuissance des Lumière ? Il esttout d'abord probable que l'usine de Montplaisir ait été incapable de satisfaireà la demande. Par ailleurs, l'affaire est suffisamment« juteuse» pourque l'on puisse négliger de la sorte la concurrence. Pour sa part, MariusSestier, qui aperçoit le danger que la réponse des Lumière peut lui fairecourir, s'empresse de demander une exclusivité pour l' Australasie, évitantainsi, au moins, la concurrence interne. Il ne semble pourtant pas avoirlaissé la chose en l'état puisqu'un article du 9 octobre 1896 se fait l'échodes problèmes liés au nom « cinématographe » :The name « Cinematographe » seems to have been devised and registered by theMessrs. Lumière before they were any rival machines in the field. Sestier, theiragent in charge of the newly-arrived « Cine », is said to carry power of attorneyto fight the question re infringement of title, which is undoubtely an importantconsideration as things are going10•Nous ne possédons pas d'autres informations sur ce dernier point,mais la situation dut se stabiliser, même si Marius Sestier ne perd jamaisune occasion de rappeler qu'il est le seul concessionnaire habilité à présenterle cinématographe Lumière en Australasie. À peine le cinématographequitte-t-il Sydney que Joseph Mac Mahon revient à la charge,après son premier échec, avec un nouvel appareil qu'il présente dès le26 octobre:For the better achievement of his purpose Mr. Mac Mahon visited all the principalcities of the Continent, and finally secured in Paris the instrument ofM. Deminy (sic), a French inventor11 •10. Périodique non identifié, peut-être The Sydney Mail, 10 octobre 1896. Traduction: Lenom de « Cinématographe .. semble avoir été inventé et déposé par les frères Lumière avantqu'il existe aucun appareil rival du même type. Sestier, représentant le nouveau « Ciné ",est, semble-t-il, mandaté pour s'attaquer à la question de contrefaçon de marque déposée, cequi est sans conteste une considération de poids dans la situation actuelle.11. The Dailg Telegraph, 26 octobre 1896. Traduction : Pour mieux réaliser son dessein,38Il s'agit bien évidemment de l'appareil de Demeny, le ChronophotographeGaumont-Demeny12, amélioration d'un premier appareilaprès la découverte des Lumière. On sait de quelle façon Demeny fut« coiffé sur le poteau» alors qu'il avait tout entre les mains pour découvrirle cinématographe. Cet appareil est présenté à partir du 7 novembre, auSalon Lumière, 337 Pitt-Street, rebaptisé pour l'occasion Salon cinématographe13•Lorsque Marius Sestier, après un bref séjour à Melbourne sur lequel nousallons revenir, reprend ses projections à Sydney, la situation s'est légèrementmodifiée: Joseph Mac Mahon présente encore son « cinématographeperfectionné» et, au début de l'année 1897, un vitascope « withpartakes of the character of a cinématographe » fonctionne à l' Edison ElectricParlos, Pitt-Street.Si la situation de concurrence n'est pas simple à Sydney, que dire decelle que Sestier trouve à son arrivée à Melbourne? Quatre autres cinématographesse partagent les faveurs du public. Au Theater Royal(02.11.96), sous la direction de MM. Geo Rignold et W. Raynham un« cinématograph » fonctionne de 7 h 30 à 7 h 50, en première partie duHenri V de Shakespeare, mais il disparaît dès cahiers de Marius Sestier dès le lendemain. Tel n'est pas le cas du « cinématographe» présenté àl'Opera House par MM. Harry Rickards et Fred Aydon annoncé comme« The most perfect cinématographe of Living Pictures, the Marvel ofthe 19th century ». Ici encore ce cinématographe côtoie chanteurs etdanseurs14• Un troisième appareil installé dans Collins-Street East estannoncé comme : « The perfected cinématographe. The greatest marvel ofthe Nineteenth Century is the very latest machine. Direct from Paris underthe direct personal control of Mons. G. Neymark »15 ; ce cinématographeM. MacMahon s'est rendu dans toutes les principales villes d'Europe, et en définitive s'estprocuré à Paris l'instrument d'un inventeur français, M. Deminy [sic J.12. Pour plus de précisions voir l'excellente chronologie de Vincent Pinel, L'invention ducinéma, Paris, Association Française de Recherche sur }'Histoire du Cinéma, 1992.13. Les vues présentées sont les suivantes : The milk-white jlag. Coronation of the Czar, Persimmonwinning the English derbg, German emperor opening the Kiel canal, The boxing kangaroo,The Boatrace (31.10.96), The arrival of Li Hung Chang in Paris lastjulg, The arriva[of President Faure on the Longchamp racecourse just prior to the Grand Prix, Le saut du dragon( 21.11.96), The dance hg four girls, The street scene, The serpentine dancer Loie Fuller( 07.12.96).14. Sans que cela soit systématique, les présentations des différents cinématographes Lumièreétaient des spectacles à eux tout seuls, ce qui ne fut pas le cas des autres qui s'intégraientdans un spectacle plus vaste.15. On y présente les vues suivantes: Grand National Steeplechase, The Great Coventry bicgclerace, Parisian Life, Paris express ( 01.11.96).39perfectionné pourrait bien être celui de Demeny. Enfin, à l'Athenoeum hall,le Vitascope d'Edison ouvre ses portes à partir de 7 h 30 du soir. Au cours de cette période la situation a évolué de façon singulière. Faceà un certain « éclatement» des lieux de projections, Marius Sestier va tenterune autre stratégie : la collaboration. Son ancien rival, le prestidigitateurCarl Hertz, va devenir aussi son complice. À nouveau les échangesde « câblegrammes » sont révélateurs des rapports qu'entretient Sestier avecla maison Lumière :« Envoyez urgence Menagerie appareil complet. Nouvelles vues Czar » ( envoyéle 14 octobre).Appareil envoyé 15 septembre. Adressons vues Lumière ( reçu le 16 octobre).Nous ignorons la date d'arrivée de ce second appareil qui doit permettreà Sestier de proposer un autre lieu de projection, mais nous savonsqu'à partir de la fin du mois de décembre deux cinématographes Lumièrecirculent en Australie; en effet, alors que Marius Sestier organise toujoursses projections à Sydney, un second appareil Lumière présente des vuesanimées au Theatre Royal d' Adelaïde sous les auspices de Wybert Reeveet en collaboration avec Carl Hertz. La stratégie par rapport à la concurrencemarque une évolution sensible et permet aux cinématographesLumière de mieux occuper le terrain australien.Le phénomène de la concurrence16 n'a été que rarement étudié, et il fautle regretter dans la mesure où il nous informe sur la place qu'occupe l'appareilLumière dans les premiers temps. Il est clair que si les premières projectionsen France ou à l'étranger commencent au début de l'année 1896,la concurrence est déjà en place et connaît l'existence du cinématographeLumière. Or, dans l'exemple australien17, il est clair que le cinématographeest au centre de la problématique des images animées. Son nom d'abord qui est sans cesse imité et modifié - dans le cas d'Edison qui présenteson Vitascope -, situation face à laquelle les frères Lumière, nousl'avons vu, baissent les bras. Ses programmes sont plagiés, même s'il fautpréciser que certains cinématographes se spécialisent dans des registressensiblement plus légers. Dernier point, il ne nous a pas été possible16. Nous avons pu l'observer avec une certaine précision à Nice où toute une stratégieverbale est mise en place par les opérateurs des différents .. cinématographes ...17. Il est loin d'être unique: à Paris, par exemple, un cinématographe lumière (avec un lminuscule) est présenté, trompant ainsi volontairement les spectateurs de l'époque et, involontairement,les chercheurs qui se sont penchés depuis sur la question.40de mesurer l'incidence que pouvait avoir la présence d'autres cinématographes,l'absence de données chiffrées faisant cruellement défaut, maisla seule indication dont nous disposons (les coupures de presse recueilliespar Sestier) permet de dire que, d'une façon générale, elle semble s'effriterface à l'appareil des Lumière ce qui pourrait indiquer un choix du publicpour le cinématographe18. Cette très probable supériorité technique nousconduit à nous interroger sur la stratégie commerciale que Marius Sestierva mettre en place dès son arrivée en Inde.3. La stratégie commercial,eLes différentes recherches que nous avons effectuées tant en Francequ'à l'étranger nous autorisent à suggérer qu'il n'existait pas de stratégiedéfinie depuis Lyon. Le type de« contrat», qui liait les opérateurs indépendants19comme Marius Sestier était probablement très vague et n'impliquaitapparemment que le versement de royalties20. Quant aux programmes,ils étaient laissés à l'appréciation de l'opérateur21. Aussi l'expériencede Marius Sestier doit-elle être envisagée comme unique, même s'il est vraique, sur le terrain, les stratégies commerciales furent parfois similaires. L'arrivée à Bombay, le 1er juillet 1896, après 16 jours de voyage, est révélatricede la stratégie mise en place par Sestier pour présenter l'appareil.Apparemment rien ne semble avoir été programmé depuis la France.Sur place, Marius Sestier occupe le terrain de la presse et fait passer desannonces dans les principaux journaux de la colonie britannique : le Times18. Nous avons pu vérifier qu'à Madrid les projections concurrentes de l'animatographe étaientd'une qualité moindre. Voir notre article« Cuand lleg6 el cine a Madrid», Historia 16, 1994(à paraître). Ailleurs, la presse en général s'est plu à désigner le cinématographe Lumièrecomme le meilleur, même après l'arrivée du vitascope d'Edison.19. Il nous semble très important de mettre en avant une distinction, rarement prise en compte,celle qui existait entre les opérateurs "' intérieurs ,. attachés à la maison Lumière ( Moisson,Doublier, Promio ... ) et les" indépendants" (Sestier, Veyre, Mesguich) dont les rapports avecles Lumière étaient plus complexes.20. Bien qu'il faille prendre ce chiffre avec prudence, nous avons retrouvé un seul versementeffectué par Marius Sestier pour le compte des frères Lumière: 400 Fen mai 1897au moment où la tournée australienne touche à sa fin. S'agit-il du seul versement ? Nousl'ignorons. Il est à comparer avec les informations sur la provenance des ressources liéesaux cinématographes qui figurent plus loin dans notre article. En outre, la famil1e nous aconfirmé le système des royalties.21. Comme en témoignent les nombreux films hors catalogue qui furent présentés un peupartout dans le monde. À Lyon, ville où, pourtant, les frères Lumière pouvaient contrôlerla situation, nous avons pu vérifier qu'une centaine de vues hors catalogue avaient été présentéesentre 1896 et 1902.41of India, le Advocate of India et le Bombag Gazette. Le second, parexemple, annonce de façon fort élogieuse la prochaine présentation du cinématographedes frères Lumière :The living photographyMonsieur Sestier, who arrived by the s.s. Yarra has brought to our city the Cinematograph,the wonderful invention of Messrs August and Louis Limiere (sic)of Lyons. This instrument is a wonderful improvement on the Edison Kinetoscope.We can see before it a moving panorama with living life size people.The instrument is so perfect that it can both photograph as well as project scenes.A railway train arrives, the station master is moving about, the passengersget in or alight, etc., etc. The sea waves, the smoke that cornes from a cigar orfrom some herbs that are burning, a11 this is faithfully reproduced to life and unlikethe kinetoscope, is visible to as large an audience as required.A public exhibition will shortly be given and we in India will be able to seein work the instrument which gave a vivid life size realization of the Prince ofWales' Derby in one of the London Music Halls the same night as the historieevent was run. Monsieur Sestier is open to priva te engagements22•Nous ignorons si cet article est de Marius Sestier, mais nous savons enrevanche que dès son arrivée à Bombay il va payer les services de deuxinterprètes et va apprendre lui-même l'anglais ainsi qu'en témoigne unebatterie d'exercices écrits de sa propre main. La dernière ligne de l'articleest, en outre, révélatrice du besoin de faire tourner le cinématographe, afinde rentabiliser l'affaire, en organisant à l'occasion des projections privées.L'affaire va très vite puisque dès le 7 juillet on peut lire dans le Times ofIndia l'annonce suivante:22. The Advocate of lndia, 2 juillet 1896. Traduction : Photographie vivante. Arrivé sur levapeur Yarra, M. Sestier a introduit dans notre ville le Cinématographe, invention merveilleusede MM. August et Louis Limiere (sic], de Lyon. Il s'agit d'un merveilleux progrès parrapport au kinetoscope d'Edison. Il permet de contempler un panorama animé, avec des personnagesvivants et grandeur nature.L'appareil est si perfectionné qu'il peut aussi bien servir à la prise de vues qu'à la projection.Un train arrive, le chef de gare s'active, les passagers montent ou descendent, etc. Lesvagues de la mer, la fumée d'un cigare ou d'un feu d'herbes, tout cela est représenté avecfidélité et paraît vivant, et, à la différence du kinetoscope, peut être montré à un public aussinombreux qu'on le souhaite.Une séance publique aura lieu prochainement et les spectateurs indiens pourront alorsvoir en action l'instrument qui a permis une représentation vivante, grandeur nature, duDerby du Prince de Galles, dans un music-hall de Londres, le soir même du jour où avaitlieu cette course historique. M. Sestier est disponible pour des représentations privées.42THE MARVEL OF THE CENTURY !THE WONDER OF THE WORLD ! !LIVING PHOTOGRAPHIC PICTURESINLIFE-SIZED REPRODUCTIONSBYMESSRS LUMIERE BROTHERSCINEMATOGRAPHEA few Exhibitions will be givenATW A TSON'S HOTEL ZZbisMarius Sestier s'occupera des projections et son épouse de la caisse. Grâceà son carnet de dépenses, qu'il tient de façon scrupuleuse, nous savonsquelle sera la stratégie commerciale employée. Le Watson 's Hotel est louépour quatre jours et le programme initial est instructif à plus d'un titre :1. Entry of Cinematographe ( n ° 250 : Entrée du cinématographe)2. Arrival of a Train n° 653: Arrivée d'un train)3. The Sea Bath ( n ° 11 : La baignade en mer)4. A demolition (n° 40: La démolition d'un mur)S. Leaving the factory (n° 91: Sortie des usines)6. Ladies and Soldiers on 'Wheels ( n ° 24 7 (?) : Cyclistes et cavaliers arrivant aucottage)Tout d'abord, il reprend de façon assez conventionnelle certaines bandesdont le succès en fait des morceaux obligés d'une première cinématographique: L 'Arrivée du train, La baignade en mer, La démolition d'un muret La sortie des usines23• Mais cette présentation est également l'occasiond'offrir au spectateur indien deux bandes fraîchement tournées en GrandeBretagne: Entrée du cinématographe et Ladies and Soldiers on wheels2422 bis. Traduction : LE PRODIGE DU SIÈCLE !LA MERVEILLE DU MONDE!DES IMAGES PHOTOGRAPHIQUES VIVANTESREPRODUITES GRANDEUR NATUREPARLE CINÉMATOGRAPHEDE MM. LES FRÈRES LUMIÈREQuelques séances de démonstration auront lieuÀL'HÔTEL WATSON23. La version proposée de la Sortie des usines est la première version connue, celle qui futprésentée tout au long de l'année 1895 et même au-delà, celle des « deux chevaux ... La versionretrouvée au château Lumière avec« un seul cheval» en 1987 est, vraisemblablement,la troisième version qui ne date que de septembre ou octobre 1896.24. La date de la présentation à Lyon est une indication intéressante pour connaître au moinsapproximativement le moment du tournage. Ainsi Entrée au cinématographe est présentéeà Lyon le 10 mai 1896 et Cgclistes et cavaliers arrivant au cottage le 24 du même mois.43qui ouvrent et ferment le programme proposé. L'absence de film indiensemble indiquer que Marius Sestier n'a pas eu encore la possibilité de tournerdes vues, en revanche les bandes anglaises fonctionnent comme uneaccroche pour le public de Bombay sans renoncer pour autant à l'imageautoréférente du cinématographe. Le programme est rapidement renouvelé,et le 9 juillet les spectateurs découvrent six nouvelles vues où nousretrouvons le même souci de flatter le public de la colonie britannique touten lui offrant d'autres« classiques » 25• Le séjour en Inde est, apparemment,semé d'embûches puisque Marius Sestier est conduit à changer de localà plusieurs reprises: il tente de s'installer au Noveltg Theatre à partir du14 juillet, mais des problèmes d'électricité le ramènent au Watson's. Lesennuis s'amoncellent (pluie, cyclone ... ) et mettent fin à la présentation ·du cinématographe à Bombay.En Australie, Marius Sestier va de nouveau mettre en place sa stratégieoù la presse a une fonction essentielle comme en témoigne l'article suivant:M. Sestier will shortly exhibit this wonderful invention to the Sydney Public,when an opportunity will be afforded of witnessing a series of extraordinaryLIVING PHOTOGRAPHS, Perfect in Every Detail and Full Life Size26.Cet entrefilet met clairement en évidence la caractère opportuniste desprojections réalisées par Marius Sestier. Comme cela avait déjà été le casen Inde, il est conduit à faire d'autant plus preuve d'initiative qu'il est interesséà l'affaire. Sa stratégie est à rapprocher de celle d'un Gabriel Veyrequi, au Mexique d'abord puis sur une grande partie du continent latinoaméricain,fut conduit lui aussi à« improviser» sur place. La stratégie d'unAlexandre Promio est tout autre et il ne se déplace qu'à bon escient, maisil est vrai qu'il s'agit d'un permanent des usines Lumière.Le 26 septembre enfin, après un bref séjour à Nouméa, Marius Sestierprésente, à Sydney, en privé, le cinématographe au Lyceum Theatre. Lecompte rendu du Herald (28.09.96) souligne à quel point le cinématographeLumière fit alors sensation :25. Les spectateurs peuvent voir: Babg's Dinner ( n° 82: Querelle enfantine), Rtjoicing inthe Market Place ( n° 65?: Marché), The Street'Dancers of London ( n° 249: Danseuses desrues), The Dfrer ( n° 92 : Scaphandrier), Turning the Soup-plate bg Treweg ( n° 1 : Assiettestournames) et A Match at Cards (n° 73: Partie d'écarté).26. Dailg Telegraph, 22 juillet 1896. Traduction: M. Sestier montrera prochainement cettemerveilleuse invention au public de Sydney, qui aura ainsi l'occasion de contempler unesérie d'extraordinaires PHOTOGRAPHIES VIVANTES, parfaites dans leur moindre détailet toutes Grandeur Nature.44The large audience applauded every scene with delight, but in summing up theattractions of this fascinating show the place of honour must be accorded to thosepictures that had the magic power, of the famous table cloth in the «ArabianNights », which translated those who stood upon it to foreign lands26bis_Il est instructif de mettre en parallèle la présentation effectuée àBombay et celle offerte à Sydney. Voici le programme présenté dans cettedernière ville :1. Leaving Lumiere's Factory ( n ° 91 : Sortie d'usine)2. The serpent ( n ° 90 : Serpent)3. A game of cards ( n ° 73 : Une partie d 'écarté)4. Empire theatre, London ( n ° 250 : Entrée du cinématographe)S. The Cuirassiers (peut-être une des vues entre les numéros 182 et 185)6. A baby 's quarrel ( n ° 82 : Querelle enfantine)7. Parade of the guards ( n° 257 (?): Garde montante au palais de Bucldnglzam)8. The hat trick (n° 105: Chapeau à transformation)9. Demolition of a wall ( n° 40: La démolition d'un mur)10. Watering the garden (n° 99: Arroseur et arrosé)11. Sea bathing ( n ° 11 : Baignade en mer)12. Arrivai of the Paris express (n° 653 (?): Arrivée d'un train à La Ciotat)Première constatation: le programme est beaucoup plus fourni27, maisil présente peu de variations par rapport à celui de Bombay. L'innovationest ailleurs: cette présentation est accompagnée par un orchestre dirigépar W.J. Rice, chef du Lyceum. Nous avons là un témoignage très précocede l'association de l'image et du son qui montre que, dès ses balbutiements,le cinématographe chercha un soutien musical à ses projections. Nous avonspu constater, par ailleurs, que la presse s'était particulièrement intéresséeaux vues militaires.Les séances vont désormais avoir lieu au Salon Lumière, 237 Pitt-Street,jusqu'au 27 octobre. Tout comme ailleurs dans le monde, le cinématographeva bénéficier du soutien des autorités et des hauts dignitaires dela nation28 • C'est ainsi que le gouverneur Lord Hampden assiste à une26 bis. Traduction : Le public, nombreux, a applaudi toutes les scènes avec enthousiasme,mais pour résumer les attraits de ce fascinant spectacle, la place d'honneur doit revenir àces images qui avaient le pouvoir magique de la célèbre nappe des Mille et Une Nuits : celuide transporter ceux qui s'y installaient jusque dans des contrées étrangères.27. Il s'agit d'une stratégie assez fréquente, par ailleurs, dès que l'opérateur organise unesoirée spéciale. D'habitude, les programmes ne dépassaient guère huit vues.28. Ce soutien unanime n'en cache pas moins des motivations différentes. Ainsi, au Mexique,Gabriel Veyre beneficie-t-il de la politique pro-française et anti-américaine du dictateurPorfirio Diaz.45séance le 16 octobre ce qui permet à Marius Sestier de faire passer le textesuivant dans le journal du lendemain :The last nine days of the French Cinématographe are notified at the SalonLumière, where a change of programme will introduce tableaux of « London ina Fog » the « Champs Élysées », « U nter den Linden at Berlin » and other fresh subjects.Yesterday morning M. Sestier had the honour of giving a special private exhibitionof the marvellous instrument before bis Excellency the Governor, LadyHampden, and suite. The Governor before leaving expressed to M. Sestier bis admirationof the pictures shown29 •The Australian Star ( 17.10.98) ajoute même que trente vues furent présentéesau gouverneur. Le cinématographe attire d'autres personnalitéscomme en témoigne The Sydney morning Herald (21.10.96) qui évoquela présence d'une série d'autorités ecclésiastiques: « the Primate, the Bishopof Newcastle, the Bishop of Goulburn, the Rev. Father Ryan». Cettereconnaissance officielle n'en conduit pas moins Marius Sestier à tenterde rentabiliser son appareil, comme il l'avait fait à Bombay, en proposantses services pour des projections privées:Ladies and Gentlemen, Heads of Colleges, etc., desirous to arrange seances forprivate parties should communicate with the directors at least 48 hours previously30•Enfin son portrait, photographié ou dessiné, est publié à plusieurs reprisesdans les journaux de Sydney avec des commentaires qui de nouveaumettent en avant notre homme :People prominentM. Marius SestierThe gentleman whose photograph we publish herewith first introduced the originalLumière Cinematographe to Sydney. He came out unostentatiously in one29. The Sgdneg Monzing Herald, 17 octobre 1896. Traduction : Au Salon Lumière, on annonceles neuf derniers jours du Cinématographe français, avec un nouveau programme incluantdes tableaux de« Londres dans le brouillard», des« Champs-Élysées», d'« Unter den Lindenà Berlin » et d'autres sujets inédits. Hier matin, M. Sestier a eu l'honneur de faire une démonstrationprivée du merveilleux appareil devant Son Excellence le Gouverneur, Lady du merveilleuxappareil devant Son Excellence le Gouverneur, Lady Hampden, et leur suite. Avantson départ, le Gouverneur a exprimé à M. Sestier l'admiration que lui inspiraient les imagesprojetées.30. Cet avis est publié dans la presse locale en septembre 1896. Traduction: Mesdames etMessieurs les Principaux de Collèges, etc., désireux d'organiser des séances pour des groupesprivés, sont priés de prendre contact avec les responsables au moins 48 h à l'avance.46of the French mailboats, and was immediatly seized upon by Mr. Walter Barnettof the Falk Studios, who, in conjunction with Mr. C. B. Westmacorr, arrangedfor him to exhibit his wonderful machine in Pitt-Street. The result has more thanexceeded expectations, for the place has been thronged daily ever since it was opened,and the pictures have become the talk of the town. The fotograph is reproducedby permission of the Falk Studios31 •Une dernière information intéressante nous est fournie par la publicitéque Marius Sestier fait paraître le 28 septembre où il signale qu'il présentedes vues« selected from 150 interesting subjects » 32• Le chiffre qu'il nousfournit permet de penser qu'ici comme ailleurs les opérateurs disposaientd'un corpus de vues« types» qui appartenaient pour l'essentiel aux 98 premièresvues classées du catalogue auxquelles venaient s'ajouter les« classiques» tels que Arroseur et arrosé et Arrivée d'un train à la Ciotat ainsique quelques vues<< stratégiques», en l'occurrence les films anglais. Outreces vues étrangères, des vues nationales, sur lesquelles nous reviendrons,furent également offertes avec le succès que l'on imagine.La stratégie que Marius Sestier met en place tant à Bombay qu'à Sydneynous permet de mieux appréhender le « système Lumière » sous un angleparticulier. Les informations que nous possédons font apparaître un certainflottement lorsque l'opérateur arrive sur les lieux. Cela confirme bienle caractère aléatoire des projections et des lieux choisis. Certes, nous pouvonsremarquer que Marius Sestier s'intéresse aux salles susceptiblesd'accueillir son cinématographe ( théâtres, salles de spectacles, salons photographiques... ), mais l'essentiel est pour lui de pouvoir commencer sesprojections au plus tôt car, ne l'oublions pas, il est son propre patron eta tout intérêt à faire tourner la machine. En outre, sa politique commerciales'apparente à celle d'un Veyre, c'est-à-dire qu'il est continuellementamené à se déplacer afin de trouver de nouveaux lieux de projections, peutêtreplus rentables que les antérieurs. Cela explique en particulier sesséjours dans différentes villes australiennes.31. The Referee, 14 octobre 1896. Traduction:À la une de l'actualitéM. Marius SestierM. Sestier, dont nous publions la photographie ci-contre, a été le premier à introduireà Sydney l'authentique Cinématographe Lumière. Discrètement descendu d'un paquebot français,il a été immédiatement pris en charge par M. Walter Barnett des Studios Falk, qui, encollaboration avec M. C.B. Westmacorr, lui a permis de montrer son merveilleux appareilà Pitt-Street. Le résultat a plus que dépassé les espérances, car on affiche complet depuisl'ouverture, et les images animées sont le sujet de toutes les conversations. La photographieest reproduite avec la permission des Studios Falk.32. Herald, septembre 1896.474. Une affaire qui marcheSi nous savons que le cinématographe fut une affaire en or pour la maisonLumière au moins sur deux saisons, l'absence de chiffres ne permetpas toujours de saisir le phénomène dans sa dimension financière. MariusSestier a méticuleusement noté sur un carnet les recettes et les dépensesoccasionnées par la nouvelle invention. Nous pouvons ainsi apprécier lasituation tant à Bombay qu'en Australie. Ci-dessous nous proposons untableau synthétique des recettes liées au cinématographe. Nous y avonsfait figurer le nombre de jours d'exploitation, la recette totale et la recettemoyenne journalière.VILLE JOUR RECETTE TOT ALE RECETTE / JOURBOMBAY 27 4 706,80 F 174,3 FSYDNEY (1) 26 12 934,85 F 497,5 FMELBOURNE 12 2 496 F 208 FSYDNEY (2) 43 7 518,57 F 174,85 FADELAIDE 36 6014,7F 167,07 FBR. HILL 13 1611,1 F 123,9 FPERTH 19 3 790,18 F 199,48 FCOOLGARIE 6 754,4 F 125,73 FMalgré l'apparente précision des chiffres, il serait hasardeux d'en tirerdes conclusions hâtives. En effet, s'il est clair que la « première saison »à Sydney fut incontestablement une réussite économique, trop d'inconnuessubsistent qui nous interdisent d'aller plus loin dans les déductions.Prenons ainsi les cas respectifs de l'Inde et de Bombay. Dans le premier48cas, le prix d'entrée est alors fixé à une roupie33 quel que soit le spectateur,alors qu'à Sydney le prix varie selon son âge. En 27 jours d'exploitationà Bombay, la recette s'élève à 3 362 roupies, soit une fréquentationmoyenne de 124 spectateurs par jour. Il est évidemment très délicat d'interpréterce résultat, trop de paramètres nous manquent, il est pourtant assezclair que le choix des lieux de projection ont eu leur rôle à jouer, ainsi,à Bombay, si les séances au Watson's sont bien suivies, celles du NoveltyTheatre constituent un véritable succès. Il faut d'ailleurs considérer queles deux séjours à Sydney marquent une différence due surtout auchangement de lieu. En ce qui concerne Bombay, nous savons aussi queles conditions climatiques vinrent perturber les projections et y mirentfin.Nous avons souhaité ne retenir ici que le premier séjour à Sydney qui,limité dans le temps, permet de mieux approcher le phénomène. Du lundi28 septembre 1896 au mardi 27 octobre 1896, soit en 26 jours d'exploitationeffective puisque il n'y a pas de séance le dimanche, les recettes s'élèventà plus de 517 livres sterling ce qui représente 12 934,85 francs selonles comptes et les calculs effectués par notre opérateur. C'est ainsi que serépartissent les chiffres par semaine.SEMAINE RECETTELundi 28 septembre-Samedi 3 octobre 2 848,50 FLundi 5 octobre-Samedi 10 octobre 3 422,50 FLundi 12 octobre-Samedi 17 octobre 2 581,85 FLundi 19 octobre-Samedi 24 octobre 2 970,60 FLundi 26 octobre-Mardi 27 octobre 1 121,85 FCe que nous pouvons remarquer c'est qu'au cours de ce mois de projections,l'intérêt pour le cinématographe ne s'émousse pas bien au contraire.Dans la tableau qui suit nous avons regroupé ces mêmes chiffres par jourde la semaine.33. Le cours de la roupie est alors de 1,40 F ainsi que le signale le propre Marius Sestier.49JOUR RECETTE MOYE NELUNDI (5) 2 550 F 510 FMARDI (5) 2 216,8 F 443,4 FMERCREDI ( 4) 1803 F 450,8 FJEUDI ( 4) 1 865,6 F 466,4 FVENDREDI (4) 1 989,4 F 497,4 FSAMEDI (4) 2 510 F 627,5 FCe qui peut nous surprendre, c'est la très grande régularité des recettesmis à part les samedis où le chiffre augmente singulièrement. Cette cohérencetant du point de vue hebdomadaire que journalier met en évidencele fonctionnement du cinématographe qui connaît un engouement continuelavec de rares fluctuations. Cette constance montre bien que le systèmede fonctionnement de la stratégie cinématographe ne dépend pas, dans lecas présent, du succès plus ou moins important du spectacle. Incontestablement,les projections sont des réussites et le départ de Sestier n'est dûqu'à l'échéance d'un contrat qui le lie pour une période déterminée à unesalle34• Le chiffre d'affaire total pour la tournée de Marius Sestier est toutà fait impressionnant puisqu'il s'élève à près de 40 000 F. Si nous rapportonsce chiffre aux salaires versés aux 360 ouvriers qui travaillent auxUsines Lumière en 1896/9735, il représente près de 11 700 journées detravail. Preuve si besoin en était encore que le cinématographe constituaune source très appréciable de revenus pendant les années 1895/96 et1896/97, même après que le système des concessionnaires fut abandonné.En revanche, il est plus délicat d'apprécier l'impact en termes de spectateursdans la mesure où le prix d'entrée était variable: 1 shilling pour lesadultes et moitié prix pour les enfants. En admettant une proportion de50/50, nous aurions une fréquentation moyenne de 132 spectateurs parjour. Mais il ne s'agit là que d'une estimation et en aucun cas d'une donnéefiable.34. Les renseignements que nous avons pu recueillir confirment que le système était semblableailleurs.35. Les salaires versés pour l'année 1896/97 représentent 451 842 F soit un salaire moyenjournalier par ouvrier de 3,44 F.50Marius Sestier, qui a quitté Lyon avec un capital de 14 243 francs ( dont10 000 francs en lettres de crédit), tire un incontestable profit du cinématographemême si les royalties versées aux Lumière limitent ses entrées.Un article publié dans The Bulletin nous donne des informations (peutêtretransmises par Marius Sestier lui-même) sur le système Lumière dansle monde:In London, il was speedily opposed by some 20 imitations, but this seem to havegradually lost public support. London, Paris, Manchester, Birmingham, like Australia,are understood to have each but one Lumière Cinematographe. The Londonone, at the Empire Theatre, is credited with paying the inventors f.40 royaltyevery rime it shows, and Lumière's world's total of 23 machines are estimated toreturn f.5 000 royalty monthly36•Nous ignorons le crédit qu'il faut accorder aux déclarations de ce journaliste,mais si le chiffre est exact, cela signifierait environ 125 000 F parmois ce qui est à rapprocher du chiffre de 1 060 805,09 F annoncé au conseild'administration pour l'excercice 1895/96 et de celui de 735 119, 86 Fpour l'exercice suivant. Quant au chiffre de 23 appareils, il constitue, s'ilest exact, une information tout à fait intéressante qui montre que le nombred'appareils focntionnant dans le monde était relativement restreint enoctobre 1896.Ici comme ailleurs le cinématographe fut reçu de façon très positive. Ilfaut évidemment faire la part des choses et bien comprendre que le propreMarius Sestier, dans sa statégie commerciale, fait passer régulièrement desannonces dans la presse ce qui risque de fausser notre sentiment. Pourtantcertains comptes rendus nous semblent être l'oeuvre de journalistesque notre homme ne se prive pas de solliciter. Ainsi la presse de Bombayconsacre de longs articles au cinématographe. The Times parle de l'inventiondes frères Lumière en ces termes :lt is impossible to deny that the recent invention of Messrs. Lumière Bros. isalmost the greatest scientific discovery of the age. By its means life-sized photographsare reproduced, every movement of the figure is accurate, and despite thenumbcr of changes the accuracy is maintained37•36. The Bulletin, 10 octobre 1896. Traduction: À Londres, il dut bientôt subir la concurrenced'une vingtaine d'imitations, mais celles-ci semblent avoir peu à peu perdu la faveurdu public. À Londres, à Paris, à Manchester, à Birmingham, comme en Australie, il n'y a,semble-t-il, qu'un seul Cinématographe Lumière. On croit savoir que celui de Londres, àl'Empire Theatre, verse aux inventeurs une redevance de 40 livres par séance, tandis quel'ensemble des 23 appareils Lumière, dans le monde entier, rapporterait une redevance estiméeà 5 000 livres par mois.37. Times,« Living photography ,., 7 juillet 1896. Traduction: Il est impossible de nier quela récente invention de MM. les frères Lumière soit la plus grande découverte scientifique51Les autres journaux comme The advocate of India et Bombay annoncentégalement ces séances de façon élogieuse. La presse australienne, elle aussi,ne tarit pas d'éloges. Pourtant ce que nous avons pu lire n'offre que peude différence avec les articles publiés ailleurs dans le monde ou en France.Cela tient très probablement au fait que Marius Sestier comme les autresopérateurs transmettaient aux journalistes des informations qui étaientpour l'essentiel les mêmes et concernaient le focntionnement de l'appareildes frères Lumière.L'exemple de Marius Sestier ne fait que confirmer que le cinématographea constitué indiscutablement une excellente affaire au moins pourcette période extraordinaire de 1896/1897. Au-delà la situation est moinsmaîtrisable dans la mesure où les appareils furent vendus et que les projectionsse multiplièrent. Les chiffres que les frères Lumière proposent deleur bilan pour les deux exercices qui nous intéressent montrent à l'évidenceque, pendant une courte période certes, le cinématographe fut unélément de dynamisme indiscutable pour l'usine de Montplaisir. Si le filons'épuisa, l'appareil n'en continua pas moins à favoriser les affaires de lamaison Lumière et lui permit de vendre d'autres produits photographiquesainsi qu'en témoigne cet extrait du rapport du commissaire àl'Assemblée générale du 2 octobre 1897:Ces magnifiques résultats me font vous demander de vouloir bien voter de sincèresfélicitations à votre Conseil et à vos Directeurs qui, par leurs travaux incessants,ont quintuplé vos affaires et ont donné à votre marque une réputation sanspareille et qui, par leur découverte du Cinématographe, l'on fait connaître danstoutes les parties du monde.Voilà bien une des dimensions essentielles du cinématographe qui expliquepeut-être pourquoi la production de films dura si longtemps alors quela rentabilité s'estompa rapidement : le cinématographe fut une merveilleuseimage de marque pour la maison Lumière de Lyon.Les vues australien,zesParmi les nombreuses interrogations que soulève le problème Lumière,il en est une à laquelle il n'a guère été apporté de réponses. Quel« regard»portaient les inventeurs sur les envois de leurs opérateurs ? Les documentsde Marius Sestier n'apportent que peu d'informations dans le domaine,si ce n'est celle qui figure dans le câblegramme, déjà cité, envoyé à Sestierpar les frères Lumière :ou presque de notre époque. Grâce à elle, des photographies sont reproduites grandeur nature,chaque mouvement des figures est fidèle, et cette fidélité est maintenue en dépit du nombredes changements.52Donnons exclusivité jusque mois de mai. Expédions pellicules. Choisissez mieuxsujets. Lumière ( reçu le 2 7 septembre).Si l'information est brève, elle n'en est pas moins révélatrice de la positionque les inventeurs adoptent par rapport aux vues qu'ils reçoivent. Laremarque porte en effet, non sur les qualités esthétiques des documents,mais bien sur leur« sujet». Le catalogue, sur lequel les Lumière ont la hautemain, apparaît dès lors comme le lieu d'un choix plus idéologique qu'esthétique.Leur souci, finalement, ne porte pas tant sur la qualité des films- ce qui explique d'ailleurs la disparité des vues animées - mais sur uncontenu propre à intéresser un vaste public. La remarque du câblegrammeévoque apparemment des vues tournées par Sestier, mais ne figurant pasau catalogue. Cela met bien en évidence le rôle de « producteur » avant lalettre qui était celui des inventeurs du cinématographe.Selon les informations dont nous disposons, il ne semble pas que MariusSestier ait tourné de vues en Inde; en tout cas, elles ne furent pas présentéesau public indien. En revanche, la presse qu'il recueille en Australiepermet de faire le point sur les « vues australiennes» figurant au catalogueou les autres vues hors catalogue. Le 27 octobre, dernier jour de projectionà Sydney, M. Sestier offre aux Australiens la première vue prisesur ce continent ainsi que le relate The Sgdneg Morning Herald ( 28.10 .96) :The closing day of the French cinematographe at the Salon Lumière wasmarked by crowded audiences at every performance. After the day's workwas ended M. Sestier exhibited the first tableau from a local subject yetmade in Australia. Mr. H. W. Barnett (of Falk's) had joined M. Sestierin preparing the films, and a fine picture of the crowd disembarking froma Manly boat at Manly was the result. Afterwards the health of Messrs.Sestier and Barnett was toasted in acknowledgement of their artistic work,when the latter announced that a whole series of Australian scenes wasin preparation, and that both at the Paris and London halls M. Lumièrewould exhibit these pictures, and would thus put Sydney and Melbourne intouch with the great capitals named in a manner which could never havebeen approached but for the invention of this marvellous machine37bis_3 7 bis. Traduction : Le dernier jour du Cinématographe français au Salon Lumière a affichécomplet à toutes les séances. À la fin de la journée, M. Sestier a montré le premier tableaujamais réalisé en Australie d'après un sujet local. M. H.W. Barnett (de Falk's) s'était associéavec M. Sestier pour préparer les films, et le résultat est une remarquable image d'unefoule de passagers débarquant d'un bateau à Manly. On a ensuite porté un toast à MM. Sestieret Barnett, en reconnaissance de leur travail artistique; à cette occasion, M. Barnett a annoncéque toute une série de scènes australiennes était en préparation, et que M. Lumière montreraitces images dans ses salons de Paris et de Londres, mettant ainsi Sydney et Melbourneen contact avec les grandes capitales susnommées d'une manière qui aurait été inconcevablesans l'invention de cette merveilleuse machine.53Cette vue tournée conjointement, semble-t-il, par Sestier et Barnett soncollaborateur australien, tout comme celles dont il est question dans l'article,n'ont guère laissé de trace dans le catalogue puisque les seules vuesqui y figurent ont été tournées, postérieurement à Melbourne. Il s'agit enrevanche de l'un des très rares témoignages de tournage personnalisé dansles journaux de l'époque. La presse de la plus grande ville australiennede l'époque38 va évoquer le tournage de vues lors du Derby de Melbourne,vues dont certaines figurent au catalogue ( n ° 418-423). The Age ( 16.11.96)souligne les circonstances de ces tournages :During the recent racing festival at Flemington the Lumiere Cinématographewas used for the first time in this part of the world to secure moving pictures ofthe Derby, the Cup race, and numerous scenes on the lawn. It was chiefly in thenature of an experiment, but many will feel gratified to know that most of theprincipal views taken have been successfu11y developed. When these are shown,as they will probably be next week, it is safe to say that they will attract considerableattention, for by this means those who witnessed Newhaven's double triumphwi11 be able to enjoy the sight over again, and those who did not see it wi11 nowhave an opportunity of so doing, through the medium of this wonderful instrument.Besides this there will be varions pictures of promenaders on the lawn, includingthe arriva] of the vice-regal party. The Lumiere Cinématographe finishes itsexhibitions at the Princess's Theatre on Friday night, and will thereafter be onview in the city38bis.Dès le 17 novembre d'ailleurs plusieurs de ces vues sont présentées aupublic de Melbourne dont Hemington on cup day et The arrival of his Excellencythe Governor. De retour à Sydney, Marius Sestier va présenter l'ensembledes vues prises lors du Derby ainsi qu'en témoigne le Star (21.11.96)qui signale que 15 vues de la Cup vont être présentées ainsi que cinquantetableaux provenant de Londres, Paris, Moscou et Madrid. Le programme38. En 1900 la population de Sydney est de 410 000 habitants alors que Melbourne encompte 451 000.38 bis : Traduction : Lors des récentes courses de Flemington, le Cinématographe Lumièrea été utilisé - pour la première fois dans notre partie du monde - pour enregistrer desimages animées du Derby, de la course de la Coupe, et de nombreuses scènes montrant lepublic. Il s'agissait principalement d'une expérimentation, mais on sera heureux d'apprendreque la plupart des principales prises de vues ont été développées avec succès. On peutprédire q·1e lorsque ces vues seront montrées - probablement la semaine prochaine - ellesattireront une attention considérable, car grâce à elles ceux qui ont assisté au doubletriomphe de Newhaven pourront contempler ce spectacle une nouvelle fois, et ceux qui nel'ont pas vu auront désormais l'occasion de le voir, par le truchement de ce merveilleux instrument.Il y aura en outre diverses images des turfistes se promenant, notamment cellesde l'arrivée du Vice-Roi et de sa suite. Le Cinématographe Lumière termine ses séances auPrincess's Theatre vendredi soir, mais sera ensuite montré dans notre ville.54de cette nouvelle saison à Sydney nous permet de découvrir dès le24 novembre au Criterion Theatre l'ensemble des vues prises lors de la Cupà Melbourne:1. Arriva! of Train, Hill Platform2. The Lawn near the Band Stand3. Arrivai of H. E. Lord Brassey and Suite ( n ° 419 du catalogue)4. The Sadding Paddock ( n ° 420)S. Finish of Hurdle Race, Cup Day ( n ° 422 ? )6. Lady Brassey placing the Blue Ribbon on« Newhaven»7. N ear the Grandstand8. Afternoon Tea under the Awning9. «Newhaven» his Trainer, W. Hickenbotham, andjockey, Gardiner (n° 423)D'une façon générale les vues tournées en Australie l'ont été par MariusSestier, mais certaines coupures de presse laissent entendre que le travailde prise de vues fut effectué conjointement par Sestier et son collaborateurH. Walter Barnett. Cette seconde saison à Sydney, qui va se prolongerjusqu'au 23 janvier 1897, propose un choix de vues bien plus« nationalistes » que la précédente. On pourra ainsi voir les nouvelles vuesaustraliennes suivantes : N.S. W. Horse Artillery at Drill, Victoria Barracks,Sgdneg (24.01.96) et Passengers leaving s.s. «Brighton», at Manlg, Sundagafternoon (24.01.96)39•Des films que nous avons pu visionner, La foule est une saisie ponctuelledes allées et venues des spectateurs où le cinématographe fait officed'étrave et de chaque côté, la multitude s'écoule tandis qu'un certain nombrede curieux s'arrêtent pour observer avec un intérêt non dissimulél'étrange machine. Construite à partir d'une perspective très classiquel'Arrivée du gouverneur ne brille guère par son originalité et seul l'équilibretemporel entre le temps d'avant et celui d'après l'arrivée du gouverneurindique un savoir-faire. Nous sommes loin de la plastique et de lacomposition des vues tournées par Alexandre Promio40• Ces trop brèvesremarques devraient être complétées par l'étude de l'ensemble des vuesSestier. Elle nous permettrait de mieux comprendre non seulement leregard de Marius Sestier, mais également celui des frères Lumière dontles choix idéologiques restent encore à définir.39. Sestier et Barnett sont probablement les auteurs de la vue 652 qui figure au cataloguesous le titre Arrivée d'un train à Melbourne.40. Nous remercions ici les Archives du Film et sa directrice Mme Michelle Aubert qui nousa aimablement autorisé à visionner ces films. Nous remercions aussi M. Jean-Loup Bourgetpour la traduction en note des citations.556. V ers une approche du sgstème LumièreIl serait évidemment hasardeux de vouloir appliquer à tout le systèmeLumière, l'exemple de Marius Sestier. Pour pouvoir opérer ce type de glissement,nous devrions pouvoir disposer de plusieurs autres expérienceset documents. Pourtant les informations que nous avons pu collecter surd'autres opérateurs et sur les frères Lumière eux-mêmes nous autorisentà avancer quelques hypothèses que de nouvelles découvertes, nous l'espérons,viendront confirmer.La notion d '« opérateur » aux usines Lumière est à analyser avec unegrande prudence. Il faudrait dans un premier temps distinguer l'opérateurpreneurde vue que nous appellerons, comme cela se faisait à l'époque,« cinématographiste » et l'opérateur-projectionniste dont le rôle consistaitessentiellement à « tourner la manivelle » lors des séances de projection.À la première catégorie appartiennent des gens comme Alexandre Promio,Charles Moisson ou Marius Sestier, à la seconde Francis Doublierou Marius Chapuis. Il n'est évidemment pas exclu que certains aient pu,temporairement, glisser d'un terrain sur un autre comme dans le cas célèbrede Félix Mesguich ou celui de Marius Sestier qui était à la fois projectionnisteet cinématographiste. Le statut des opérateurs permet de faireapparaître deux grandes catégories de collaborateurs : ceux attachés auxusines Lumière comme Charles Moisson ou Alexandre Promio41 et les opérateursindépendants qui, contractuels,« empruntaient» un cinématographeet versaient des royalties. De nouvelles découvertes devraient nouspermettre d'avancer sur ce terrain.Nous savons que dès le début la concurrence exercée sur le« cinématographe» Lumière fut très forte et qu'elle n'hésita pas à jouer sur la confusionpour tenter d'occuper la place. Ainsi les cinématographes en tout genrevinrent marcher sur les plates-bandes de l'appareil des inventeurs lyonnais.Il est pourtant clair que cette concurrence n'inquiéta pas outre mesurela maison de Montplaisir. Il faut, croyons-nous, y voir deux raisons :l'impossibilité de se lancer dans de multiples procès de par le monde, maissurtout le fait que cette concurrence, loin d'enrayer le phénomène ne fitque le développer. En effet, en se servant du même nom les concurrentstentaient de profiter du succès du cinématographe, mais a contrario ils nefaisaient que divulguer encore le nom choisi par les Lumière. Cet effet-41. Le rôle d'Alexandre Promio est, disons-le encore, absolument fondamental aux UsinesLumière. Pourtant, s'il est indéniablement attaché à ces usines, nous avons pu constater qu'ilcombinait ces activités avec d'autres ce qui en fait un personnage atypique.56boomerang semble avoir laissé une trace dans le compte rendu del' Assembléegénérale de 1897 où il est signalé que:Malgré la concurrence qui a pris naissance de toute part, le cinématographe afourni cette année des résultats supérieurs à ceux de l'exercice précédent.Encore faut-il ajouter que le problème est devenu complexe puisque entretemps le système a changé et que les frères Lumière ont abandonné celuides concessionnaires pour la vente directe d'appareils et de bandespelliculaires.La stratégie commerciale d'un Sestier met en évidence le caractère aléatoiredes projections qui ne sont souvent organisées qu'une fois sur placeet en tenant compte évidemment des impératifs de programmes. Habituellementles projections ne cessent que parce que l'opérateur se trouve dansl'impossibilité de prolonger les séances ( conditions matérielles, conditionsatmosphériques ou planning des salles). On ne peut pourtant pas ne pasêtre étonné par l'intelligence commerciale de Marius Sestier qui, dès sonarrivée, prend des contacts, apprend la langue du pays ou fait passer denombreux articles dans la presse bien avant qu'il ne sache où les projectionsauront lieu. Intelligence aussi lorsqu'il s'agit d'« aborder» la concurrence.Ici encore, la confrontation avec d'autres sources seraient trèsinstructives, mais l'exemple d'un Gabriel Veyre au Mexique relève d'unedémarche sinon identique tout au moins similaire.Les dernières interrogations portent sur l'efficacité commerciale et laréussite esthétique des vues. Dans le premier cas, il est clair, vu le modede gestion de Marius Sestier, que raffaire est tout à fait viable et mêmeparticulièrement rentable. Qu'en a-t-il été dans les autres cas? Là égalementdes chiffres permettraient d'en savoir davantage. Quant à la<< production» Lumière, nous croyons avoir montré qu'il y avait là l'ébauched'un système qui laissait à l'opérateur le libre choix pour le tournage desvues et même pour leur présentation in situ. Par ailleurs, la vitrine queconstituaient les Catalogues se construisait à partir d'une volonté d'ordreplus idéologique qu'esthétique. Mais l'exemple de Marius Sestier n'est unepierre dans un édifice autrement complexe.

57CHRONOLOGIEDATE ET LIEU ÉVÉNEMENT01-07-96 (Bombay) Arrivée de Marius Sestier08-07-96 (Bombay) Première publique et payante du cinématographe15-08-96 (Bombay) Dernière projection publique du cinématographe09-09-96 (Albany) Présence de Marius Sestier12-09-96 (Adélaïde) Présence de Marius Sestier14-09-96 (Melbourne) Présence de Marius Sestier16-09-96 (Sydney) Arrivée à Sydney21-09-96/25-09-96 (Nouméa) Marius Sestier à Nouméa ( dates probables)26-09-96 (Sydney) Première privée au Lyceum Theatre28-09-96 (Sydney) Première publique et payante du cinématographe27-10-96 (Sydney) Dernière projection publique du cinématographe04-11-96 (Melbourne) Première du cinématographe20-11-96 (Melbourne) Dernière projection publique du cinématographe24-11-96 (Sydney) Début de la seconde saison du cinématographe28-12-96 (Adélaïde) Première publique et payante du cinématographe23-01-97 (Sydney) Fin de la seconde saison du cinématographe06-02-9 7 (Adélaïde) Dernière publique et payante du cinématographe06-02-97 (Perth) Première publique et payante du cinématographe20-02-97 ( Broken Hill) Première publique et payante du cinématographe27-02-97 (Perth) Dernière publique et payante du cinématographe06-03-97 ( Broken Hill) Dernière publique et payante du cinématographe06-03-97 ( Coolgarie) Première publique et payante du cinématographe12-03-97 ( Coolgarie) Dernière publique et payante du cinématographe17-07-97 (Lyon) Marius Sestier est de retour à Lyon58

1901: Marius Sestier, 9, cours de la Liberté, Lyon.

Et après...

recensement 1906 (Sauzet)

"Dans le canton de Marsanne, M. Aymé-Martin aura, dit-on, comme concurrent soit M. Puissant, soit M. Marius Sestier, pharmacien à Lyon, attaché à la Société Lumière.Journal de Montélimar, 20 juillet 1907, p. 2.

recensement 1911 (Lyon 3e)

1920: Pharmacien. 9, cours de la Liberté.

Produits Spéciaux des Laboratoires LUMIÈRE. PARIS, 3, Rue Paul-Dubois-Marius SESTIER, Pharm., 9, Cours de la Liberté, LYON.

Manufacture Française des Produits "Regia". (Le Salut Public, Lyon, samedi 24 avril 1920, p. 6.). M. Marius Sestier, pharmacien demeurant à Lyon, avenue de Saxe nº 186. (Administrateur). Henri Lumière et Paul-André Vigne sont également administrateurs.

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