ORAN

Jean-Claude SEGUIN

Oran, ville d'Algérie, compte 110.000 habitants (1911).

1896

Le Cinématographe Joly de MM. Prinsac et Vernet (6, boulevard Charlemagne/Boulevard Séguin, [5]-[17 octobre 1896/]/[18] octobre-[18] novembre 1896)

Le cinématographe Joly arrive à Oran dans les premiers jours d'octobre. Trios hommes font équipe, Gaston Prinsac, son cousin Jean Prinsac et Louis Vernet. Ils sont arrivés à Oran le 2 octobre en provenance de France et ils commencent ici leur tournée algérienne. Voici comment le premier, qui écrit à son épouse, raconte leur installation :

Nous avons trouvé un logement à quelques mètres du Bld Seguin et nous avons presque fini de nous y installer. Nous commencerons lundi ou mardi. Je pense que nous aurons beaucoup de monde. Il y a sur ce bld une grande animation, on se croirait à Paris.


Gaston Prinsac, Lettre à Hélène, Oran, 4 octobre 1896.

C'est donc le lendemain ou le surlendemain que l'inauguration doit avoir lieu. C'est dans son édition du 14 octobre 1896 que L'Impartial oranais évoque non seulement le cinématographe Joly, mais également le cinétographe qui s'est installé presque de façon simultanée :

Cinéma… et Cinétographe
Les Orenais ne vont pas manquer de distractions pendant quelque temps encore. Aux concerts en plein air organisés par l'ami Loubier viennent s'ajouter le « Cinématographe », système Joly, et le « Cinétographe » système pas joli du tout, si nous en jugeons par l'expérience faite dimanche soir.
L'appareil dont se sert l'imprésario du Cinétographe français laisse on ne peut plus à désirer. Les projections ne sont pas nettes et les sujets se distinguent à peine. À cet inconvénient vient s'ajouter le défaut de lumière.
Le gaz de M. Pousseur n'éclairait pas du tout. Si le directeur de la Compagnie au long monopole s'était trouvé dans la salle, il eût enregistré, pour en tenir compte, les nombreuses critiques du public.
Quoi qu'il en soit, fut-ce le gaz, l'électricité ou l'appareil, nous avons été obligé de constater que le « Cinétographe » de la salle Loubier n'allait pas comme il aurait dû aller.
L'exhibition des sujets sur la toile tardait un peu trop, et fort heureusement pour les spectateurs que l'ami Vallin se trouvait dans la salle.
Vallin, l'hilare Vallin, a protesté très énergiquement en un pur sabir contre le machine qui ne fonctionnait pas et a réclamé ses vingt sous
On s'est tenu les côtes et l'on peut dira que le directeur du « Cinétographe » doit une fière chandelle à notre concitoyen. Sans l'ami Vallin on eut certainement cassé les banquettes.
Eh bien, il est réellement dommage que la lumière ait manqué, car à la salle Loubier on a fait passer sur le transparent de bien beaux tableaux ; " la danse du ventre, le boulevard, l'arrivée d'un train, le salon de coiffureun chahut au Moulin Rouge ", etc.
Le directeur du « Cinétographe », désireux d'être agréable au public qui s'est rendu en foule à sa première, va prendre des dispositions pour remédier aux inconvénients qui se sont produits le premier soir.
Boulevard Charlemagne, le « Cinématographe » refusait du monde.
On se pressait devant- la porte du local Chabbat, et l'on peut dire que l’on se bousculait pour avoir des places.
L'entrée du « Cinématographe » est de 0 fr. 50 c., et l'on ne voit que cinq sujets. Mais quels sujets ! " Les forgerons, la corvée de neige, l'ivrognel'arroseur arrosé et la baignade des nègres dans le lac du Champ de Mars. "
L'illusion est complète.
On voit les nègres plonger et l'eau éclabousser les gens trop près du bord., qui regardent les peaux noires prendre leurs ébats.
Ici la lumière est belle, et les sujets sont nets. La projection au lieu d'être faite derrière le transparent, comme au « Cinétographe » l'est par devant. Est-ce à cela que l’on doit de mieux distinguer les tableaux ? Le locataire de M. Loubier ferait bien d'étudier la question. Nous sommes certain qu'il y aura foule au « Cinétographe » le jour où il fera passer sur son transparent des photographies irréprochables comme netteté.
En attendant on ira mûrement admirer la « Cinématographe » du boulevard Charlemagne qui fait actuellement de belles recettes.
CLOPINEL.


L'Impartial oranais, Oran, 14 octobre 1896, p. 2.

oran charlemagne
Galeries de France, Oran, Oran. Boulevard Charlemagne (début XXe siècle)

À lire l'article nourrit du journaliste qui signe "Clopinel", on comprend que l'appareil Joly offre des représentations d'une bien meilleure qualité que son concurrent, le cinétographe. Quelques jours plus tard, le cinématograph Joly quitte le boulevard Charlemagne pour s'installer sur le boulevard Séguin :

Le « Cinématographe. » — Le Cinématographe, qui fonctionnait boulevard Charlemagne, vient d'être transféré boulevard Séguin, dans le Salon-Exposition tenu par M. Naux [sic] où il y aura séance tous les jours de 5 à 7 heures du soir, et de 8 h. 1/2 à minuit.
Le prix d'entrée est fixé seulement à 0 fr. 50.


L'Impartial oranais, Oran, 18 octobre 1896, p. 3.

oran seguin
ND Phot, Oran.-L'Hôtel Continental et le Boulevard Séguin (c. 1903)

Les raisons de ce changement ne nous sont pas connues, mais on peut penser que le boulevard Seguin est mieux situé et permet sans doute de faire de meilleures affaires. C'est dans le local de M. Naus que s'installe l'appareil cinématographique. Un dernier article apporte quelques informations relatives à la programmation :

Le Cinématographe. — Le Cinématographe a abandonné le boulevard Charlemagne pour s'installer sur le boulevard Seguin, dans l'ancien local du Salon-Annonces de l'Echo d'Oran.
C'est l'ami Naus qui fait le boniment, très court du reste :
«  Mesdames et Messieurs, la leçon de bicyclette ! »
Et l'on voit apparaître sur le transparent M. Joly, l'inventeur du Cinématographe, essayant de maintenir sur une bécane une dame charmante qui se laisse choir et montre ses mollets, fort beaux ma foi.
Puis, ce sont les afficheurs parisiens qui se disputent et finalement se lancent réciproquement à la tête leur pot à colle. C'est un agent de police qui est touché. Inutile de dire que l'on rit de bon cœur en voyant le sergot collé.
On passe d'agréables moments au Cinématographe, et nous ne saurions trop engager les gens à se hâter d'aller voir une des merveilles du siècle. « Le Czar à Paris » nous sera montré, sous peu, sur le transparent du Cinématographe.


L'Impartial oranais, Oran, 23 octobre 1896, p. 3.

Les tourneurs comptent en effet sur cette dernière vue exceptionnelle pour attirer le public en nombre. Grâce à la correspondance privée, nous savons qu'Ils sont encore à Oran vers le 18 novembre (Gaston Prinsac, Lettre à Hélène, Oran, 18 novembre 1896). Par la suite, Gaston PrinsacJean Prinsac et Louis Vernet partent pour Sidi Bel Abbès.

Le Cinétographe de M. Antheaume (Théâtre Loubier, [11]-30 octobre 1896)

C'est M. Antheaume qui installe un cinétographe - dont l'origine est incertaine - au Théâtre Loubier peut avant le 11 octobre :

Le Cinétographe Oranais.- Une attraction qui fera courir tout Oran, c'est le Cinétographe que M. Antheaume vient d'installer au Théâtre Loubier.
Rien de plus curieux et de plus saisissant que cette photographie animée qui donne, à s'y méprendre, l'illusion de la vie elle-même.
Nos lecteurs ne seront certainement pas les derniers à vouloir assister à ce spectacle aussi attrayant qu'instructif.


L'Impartial oranais, Oran, 11 octobre 1896, p. 3.

Il semble que le " théâtre " ne soit, en réalité qu'une grande salle du café de M. Loubier, aménagée pour l'occasion. L'annonce est de toute façon très évasive et se limite à indiquer l'installation de l'appareil. Pourtant quelques jours plus tard, alors que fonctionne également le cinématographe Joly de Gaston Prinsac, un article signé " Clopinel " n'est pas tendre avec le cinétographe : 

Cinéma… et Cinétographe
Les Orenais ne vont pas manquer de distractions pendant quelque temps encore. Aux concerts en plein air organisés par l'ami Loubier viennent s'ajouter le « Cinématographe », système Joly, et le « Cinétographe » système pas joli du tout, si nous en jugeons par l'expérience faite dimanche soir.
L'appareil dont se sert l'imprésario du Cinétographe français laisse on ne peut plus à désirer. Les projections ne sont pas nettes et les sujets se distinguent à peine. À cet inconvénient vient s'ajouter le défaut de lumière.
Le gaz de M. Pousseur n'éclairait pas du tout. Si le directeur de la Compagnie au long monopole s'était trouvé dans la salle, il eût enregistré, pour en tenir compte, les nombreuses critiques du public.
Quoi qu'il en soit, fut-ce le gaz, l'électricité ou l'appareil, nous avons été obligé de constater que le « Cinétographe » de la salle Loubier n'allait pas comme il aurait dû aller.
L'exhibition des sujets sur la toile tardait un peu trop, et fort heureusement pour les spectateurs que l'ami Vallin se trouvait dans la salle.
Vallin, l'hilare Vallin, a protesté très énergiquement en un pur sabir contre le machine qui ne fonctionnait pas et a réclamé ses vingt sous
On s'est tenu les côtes et l'on peut dira que le directeur du « Cinétographe » doit une fière chandelle à notre concitoyen. Sans l'ami Vallin on eut certainement cassé les banquettes.
Eh bien, il est réellement dommage que la lumière ait manqué, car à la salle Loubier on a fait passer sur le transparent de bien beaux tableaux ; " la danse du ventre, le boulevard, l'arrivée d'un train, le salon de coiffureun chahut au Moulin Rouge ", etc.
Le directeur du « Cinétographe », désireux d'être agréable au public qui s'est rendu en foule à sa première, va prendre des dispositions pour remédier aux inconvénients qui se sont produits le premier soir.
Boulevard Charlemagne, le « Cinématographe » refusait du monde.
On se pressait devant- la porte du local Chabbat, et l'on peut dire que l’on se bousculait pour avoir des places.
L'entrée du « Cinématographe » est de 0 fr. 50 c., et l'on ne voit que cinq sujets. Mais quels sujets ! " Les forgerons, la corvée de neige, l'ivrognel'arroseur arrosé et la baignade des nègres dans le lac du Champ de Mars. "
L'illusion est complète.
On voit les nègres plonger et l'eau éclabousser les gens trop près du bord., qui regardent les peaux noires prendre leurs ébats.
Ici la lumière est belle, et les sujets sont nets. La projection au lieu d'être faite derrière le transparent, comme au « Cinétographe » l'est par devant. Est-ce à cela que l’on doit de mieux distinguer les tableaux ? Le locataire de M. Loubier ferait bien d'étudier la question. Nous sommes certain qu'il y aura foule au « Cinétographe » le jour où il fera passer sur son transparent des photographies irréprochables comme netteté.
En attendant on ira mûrement admirer la « Cinématographe » du boulevard Charlemagne qui fait actuellement de belles recettes.
CLOPINEL.


L'Impartial oranais, Oran, 14 octobre 1896, p. 2.

Il n'y a pas photo semble-t-il entre les deux appareils. On imagine que M. Antheaume va tenter de régler les problèmes de son cinétographe afin de ne pas perdre son public. Finalement, au bout de quelques jours, tout semble désormais réglé et L'Impartial oranais, dans son édition du 23 octobre, peut enfin écrire :

Le Cinétographe. — Êtes-vous retourné voir l'appareil de la salle Loubier ?
Eh bien, il marche très bien maintenant et les photographies sont nettes.
Il faut aller voir le CINETOGRAPHE, et, pour la modique somme de cinquante centimes, vous vous promènerez un instant dans Paris.
Vous verrez le Moulin-Rouge avec ses danseuses, vous admirerez Nini-patte-en l'air et Grille d'égoût. Vous aurez une idée de la danse du ventre exécutée par les mauresques des Batignolles. Vous aurez l'illusion d'un train arrivant en gare et vous vous retirerez ravis.
Une indiscrétion nous permet de savoir que le directeur du CINETOGRAPHE va sous peu nous faire assister aux fêtes données à Paris en l'honneur du Tzar.
Hip ! Hip ! Hourra ! pour le Cinétographe  !


L'Impartial oranais, Oran, 23 octobre 1896, p. 3.

Tout comme le cinématographe Joly, le cinégraphe propose des vues sur les fêtes franco-russes qui constituent, sans aucun doute, le clou des programmes :

Cinétographe français. -Le Cinétographe français, salle Loubier, donne actuellement cinq nouveaux tableaux, dont deux représentant l'Empereur de Russie en France, qui obtiennent un grand et légitime succès. Prie d'entrée, 0 fr. 50.


L'Impartial oranais, Oran, 30 octobre 1896, p. 3.

Les vues de M. Antheaume proviennent du catalogue Pathé - les projections futures, en particulier à Tlemcen, le confirment -, même si nous ne connaissons que quelques titres. Alors que le cinématographe Joly continue ses projections, l'appareil part quelques jours plus tard pour Tlemcen.

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