Annabelle Serpentine Dance (1)
1
Serpentine
Byt the famous "Annabelle." These dances are among the finest for the effects of costume, light, and shade, and are very popular.
EDI 1895-08
2
1 | Edison (MU 49) | Maguire & Baucus |
2 | W. K. L. Dickson. William Heise. | Annabelle Whitford |
3 | <16/08/1894 | 50 ft |
4 | États-Unis. West Orange. Black Maria. |
3
16/08/1894 | États-Unis. New York. Brooklyn. | Maguire & Baucus | Annabelle in the Serpentine Dance |
12/11/1894 | États-Unis. Washington, 527 15th St. | Edison's Kinetoscope | Annabelle, the beautiful skirt dancer |
08/03/1895 | Suisse, Lausanne, Salle de la Tribune de Lausanne | MM. Zimmermann | Loïe Fuller, la danse serpentine |
03/04/1896 | États-Unis. New York. West Orange. | Vitascope | Serpentine Dance |
An Improved Kinetoscope |
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06/07/1896 | Portugal, Lisbonne, Real Colyseu | Edwin Rousby | A Dança serpentine |
24/07/1896 | Portugal, Porto, Theatro Príncipe Real | Edwin Rousby | Dança serpentina |
26/07/1896 | États-Unis, Kansas City, The Lyons Mail | Vitascope | Annabelle's Serpentine Dance |
08/09/1896 | Mexique, Mexico, Teatro-Circo Orrín | Mrs C. P. Gardner | The Serpentine Dance |
15/09/1896 | Mexique, Mexico, Teatro Principal | Vitascopio | Una serpentina |
01/10/1896 | Mexique, Guadalajara | T. C. O'Connor | La serpentina |
Además, en ciertos cuadros hay colores, apareció por ejemplo una serpentina con traje amarillo-rojo, que al danzar el baile del Sol, dejaba ver los cambiantes de la túnica. |
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10/10/1896 | États-Unis. Sydney | Vitascope | Serpentine Dance |
Come and see the Graceful ANNABELLE perform the Serpentine Dance; every movement faithfully pourtrayed, and by a new and ingenious process, the NATURAL COLOURS of the face, hair, &c., and the beautiful tints of the drapery are shown, giving an absolutely lifelike affect to the reproduction. |
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03/11/1896 | Mexique, Mexico, Profesa nº 6 | kinetófono | Serpentina |
05/06/1897 | États-Unis. Deadwood. | Kinetoscope reproduction | Annabelle serpentine dancer |
Les Danses serpentines et ses variantes (1894-1908)
Les Danses serpentines et ses variantes (1894-1908)
Rosario RODRÍGUEZ LLORÉNS
Jean-Claude SEGUIN
L'étude qui suit a pour ambition d'envisager le corpus des vues produites entre 1894 et 1908 ayant pour thème la danse serpentine ou l'une de ses variantes. Dans un premier temps, nous nous proposons de revenir à la figure de Loïe Fuller et de sa danse serpentine avant même l'invention du cinématographe où elle ne semble jamais être apparu contrairement à nombre de ses imitatrices. Ces remarques sont suivies d'un tableau réunissant l'ensemble des films du corpus. Il est suivi d'une étude de ces vues animées.
Loïe Fuller et la danse serpentine
L'artiste
La créatrice incontestée de la danse serpentine est la danseuse américaine Loïe Fuller (1862-1928), qui est considérée, tout comme Isadora Duncan, comme une pionnière de la danse moderne. Son idée novatrice de créer des mouvements ondulants avec des costumes composés de centaines de mètres de tissus légers et vaporeux, sur lesquels sont projetés des faisceaux de lumière colorée, éblouit le monde dans la dernière décennie du XIXe siècle, faisant d'elle l'une des artistes les plus célèbres et les plus prisées de son époque. D'abord dans son pays natal, puis en Europe, où elle atteint la gloire et consolide sa carrière.
Loïe est une artiste précoce qui manifeste son talent artistique dès son plus jeune âge en tant que récitante évangélique de Temperances Lectures, imprégnée des idées de ses parents, qui sont des membres très "conservateurs, primitifs, orthodoxes de l'Église baptiste" . Quelques années plus tard, face à l'incroyable talent que Loïe démontre pour les récitations, son père l'envoie à Chicago pour étudier la technique vocale. Cependant, ce nouvel environnement met fin à la vocation de Loïe, qui se transforme en quelques années en actrice de drame et de comédie, chanteuse et dans une certaine mesure, danseuse.
Une toute jeune Miss Loïe Fuller reçoit déjà en 1880 d'excellentes critiques pour son rôle principal de "Louise l'Aveugle" dans la pièce Two Orphans. Son premier rôle à New York, également en vedette, elle le joue dans la pièce Little Jack Sheppard. Quelques années plus tard, en 1889, elle se rend à Londres et crée la pièce Caprice en octobre au Globe Theatre. Après quelques mois d'études, elle rejoint la compagnie du London Gaiety Theatre avec la pièce His Last Chance.
Dans la presse new-yorkaise de 1893 , on raconte en détail que la danse serpentine est créée et présentée pour la première fois à Londres lorsque Loïe y reçoit un cadeau qui allait changer toute sa carrière :
It was during her unfortunate experiences in England that Miss Fuller conceived the idea that subsequently led her into fame, fortune (…) Miss Fuller idly opened a package that had been sent to her apartment and presently forgot her troubles in amazement of beholding a gown made of some sixty yards of diaphanous silken stuff, light as air and flimsy as gossamer. She remembered that a young officer, home from Calcutta on furlough, had said at supper some evenings before that he would send her a gown of Indian silk, that he had got bought from a Parsee, the like of which no woman in England had ever worn before.
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Loïe ne sait pas vraiment quoi faire avec cette grande quantité de tissu aussi fin et soyeux, mais elle décide de l'essayer, improvisant du mieux qu'elle peut une robe. Elle n'en est pas très satisfaite, car sa silhouette se perd parmi tant de mètres de tissu. Cependant, lorsque quelques rayons de soleil traversent la fenêtre et se reflètent sur le tissu, elle observe avec admiration que son corps jeune et magnifique se devine à travers la soie, sans être complètement exposé. L'artiste commence alors à se mouvoir, et le résultat lui paraît si impressionnant qu'elle décide de proposer au directeur du théâtre de lui donner une chance de le présenter au public :
Miss Fuller kicked again and again, and each time the result was equally astonishing. In repose, the folds of the silk gathered closely and were opaque. In action, they separated and allowed the light to peep through. Loie stooped down, caught the end of the skirt on either side, and lifted it until only a single layer of the material covered her. An hour later, the pre-natal influence had fallen on her. An interview with the manager of the Gaiety Theatre resulted in Miss Fuller’s appearance, later in the week, in "a new and original dance called the Serpentine.
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Cependant, cette nouvelle invention ne rencontre aucun succès et est même jugée indécente par la critique. Loïe Fuller décide alors de retourner aux États-Unis en septembre 1891, où on lui a offert un rôle en solo dans la pièce Quack, M. D. Il est probable qu'en raison de cette expérience désagréable, l'artiste choisisse d'omettre cet échec lorsqu'elle rédige ses mémoires vingt ans plus tard, en 1913, où elle passe sous silence cet épisode londonien décevant et situe la naissance de la danse serpentine lors d'une scène d'hypnose dans la pièce Quack, M. D. :
At the end of the play, on the evening of the first presentation, we gave our hypnotism scene. The stage scenery, representing a garden, was flooded with pale green light. Dr. Quack made a mysterious entrance and then began his work of suggestion. The orchestra played a melancholy air very softly, and I endeavoured to make myself as light as possible, in order to give the impression of a fluttering figure obedient to the doctor's orders. He raised his arms. I raised mine. Under the influence of suggestion, entranced -so, at least, it looked- with my gaze held by his, I followed his every motion. My robe was so long that I was continually stepping upon it, and mechanically I held it up with both hands and raised my arms aloft, all the while that I continued to flit around the stage like a winged spirit. There was a sudden exclamation from the house: "It's a butterfly ! A butterfly ! " I turned on my steps, running from one end of the stage to the other, and a second exclamation followed: " It' s an orchid !"
FULLER, 1913: 31.
Quoi qu'il en soit, la presse américaine souligne que cette pièce offre quelque chose de spécial au public :
Mr. de Lange and Miss Loïe Fuller being especially worthy for more than passing mention. Incidental to the action of the play Mr. De Lange and Miss Fuller introduced several specialties, which met with the instant approbation of the audience.
Morning journal and Courier, New Haven, vendredi 2 octobre 1891, p. 3.
En quelques mois, la danse serpentine de Loïe Fuller a acquis une renommée dans les théâtres nord-américains, apparaissant déjà en bonne place dans les annonces d'une nouvelle pièce, Uncle Celestin, au Jacques' Opera House :
Miss Loïe Fuller will dance the Serpentine Dance made famous by her at the Gaiety Theatre, London.
Waterbury Evening Democrat, Waterbury, jeudi 26 janvier 1892, p. 2.
En 1893, Loïe Fuller part pour l’Europe avec un contrat en Allemagne. Après quelques apparitions plutôt anodines à Berlin et Hambourg, elle se rend à Paris en octobre et commence à travailler aux Folies Bergère. Dès ses premières représentations dans ce lieu célèbre, elle remporte un succès éclatant avec ses danses serpentines. En quelques années, sa renommée grandit inexorablement, faisant d'elle l'une des artistes les plus importantes du XXe siècle.
La danse
Mais en quoi consiste cette danse qui suscite tant d’émoi ? Grâce à un litige qu'elle a eu au printemps 1892 avec l'une de ses nombreuses imitatrices, Minnie Renwood Bemis, nous disposons d'une description complète d'une suite de trois tableaux de danses serpentines, créés par Loïe Fuller. Malheureusement, Fuller est en avance sur son temps et perd le procès, car sa "Serpentine Dance" n’est pas considérée comme une composition dramatique, mais plutôt comme une simple succession de mouvements ingénieux, agrémentés de beaux tissus et d’un éclairage suggestif.
La description des différents tableaux fait apparaître des figures et des poses évocatrices que la danseuse réalise en activant les tissus volumineux de sa robe avec ses bras. Ces actions deviennent si célèbres que, lorsque la presse évoque les performances de Miss Fuller, des dessins sont souvent inclus et des noms inventés pour que les lecteurs puissent les identifier dans les théâtres. Aujourd'hui encore, il est facile de reconnaître dans ces illustrations les mouvements emblématiques que l’on retrouve dans les films de l'époque.
Dans le premier tableau, par exemple, il est décrit comment la danseuse tient d’abord sa robe en l'air au-dessus de sa tête et se déplace vers les coins avec un pas de valse lent et glissant, suivie par deux faisceaux de lumière comme si elle se trouvait dans un médaillon.
"The serpentine costume"
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
À un autre moment, elle lâche la robe et ne la saisit que d’un seul côté, déplaçant son corps de droite à gauche, balançant la robe du bas de l'avant au haut à l'arrière, formant une sorte de demi-parapluie ou d’hélice au-dessus de sa tête.
"The Screw of a Steamer"
The Saint Paul Daily Globe, Saint Pole, lundi 19 mars 1893, p. 14.
Plus tard, elle tombe sur un genou, tenant la robe derrière sa tête pour créer un élégant fond comme conclusion de ce premier tableau de la danse.
"A Pose"
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Dans le deuxième tableau, on explique le mouvement très applaudi qui recrée un nuage de fumée : la danseuse se place au centre, immobile un instant, levant la robe en hauteur de chaque côté. Ensuite, avec un mouvement vers l’avant et l’arrière, la robe forme des vagues, semblables à celles que l’on voit sur le rivage de la mer.
"Smoke"
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Ce tableau se termine par une pose spectaculaire et risquée dans laquelle, après une course rapide vers l’avant et en retour, elle soulève la robe devant elle et la tient en hauteur, s'inclinant vers l'arrière face au public, de sorte que son visage soit bien visible, tout en maintenant la robe en l’air comme un rideau de fond.
"Les serpentins. La danse serpentine. Loïe Fuller et ses transformations"
Wikimedia Commons
Dans le troisième et dernier tableau, on voit plusieurs des figures les plus caractéristiques de la danse serpentine. Par exemple, lorsque la lumière du fond s’éteint et que la lumière de l'avant s’allume, la danseuse lève la robe en hauteur de chaque côté et traverse la scène, imitant un grand papillon.
"Wings"
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Après ce mouvement, qui se termine au centre à l'arrière, la danseuse tourne le dos au public, se penche en arrière en le regardant, puis se redresse à nouveau. En tournant, elle lance la robe en hauteur vers l'avant, formant des cercles qui montent et descendent, cachant la danseuse comme si elle disparaissait dans des nuages.
"In the Clouds"
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
Loïe Fuller a réservé pour la fin l’action la plus frappante, où elle danse de gauche à droite et de droite à gauche, agitant la robe d’un côté à l’autre. Cette figure est appelée "le panier".
La corbeille. La danse serpentine. Loïe Fuller et ses transformations.
Wikimedia Commons
Après plusieurs tours, elle se laisse tomber au sol, la robe retombant sur elle et la recouvrant complètement. Les lumières s’éteignent, et la danseuse s’est évanouie. Le spectacle est terminé.
La robe
Bien que Loïe Fuller n'ait pas réussi à enregistrer la paternité de la danse serpentine, elle parvient néanmoins, petit à petit, à obtenir le droit d’auteur sur plusieurs de ses inventions, comme par exemple les costumes de la danseuse destinés à l’exécution de cette danse, avec les indispensables tiges permettant d’étendre les mouvements des bras dans l’espace.
"Garment for dancers" US518347A
Ou ceux-ci : "Theatrical Stage Mechanism" (US533167), "Mechanism for the Production of Stage Effects" (US513102) et "Design for a dancing-dress" (USD21526S / USD21527S / USD21458S).
Les robes que Loïe Fuller conçoit pour ses danses prennent une importance décisive dans la mise en scène, bien supérieure à n’importe quel pas de danse qu’elle pourrait exécuter, lesquels n’ont que peu de pertinence dans son art. L'essentiel réside dans le mouvement des bras qui actionnent les étoffes volumineuses de la jupe avec l’aide des petites tiges conçues à cet effet. L’artiste répète sans cesse, cherchant de nouveaux effets d’une beauté et d’un impact qui ne répondent pas à l'attrait que provoquent habituellement les virtuosités en danse. Les étoffes évoluent dans l’espace, entourant et enveloppant Loïe, traînant et tourbillonnant autour de son corps qui ondule au milieu de la soie.
Le costume de la danse serpentine évolue considérablement au fil du temps, depuis celui fabriqué avec le tissu initial du mystérieux donateur indien jusqu’à ceux qui sont créés avec des centaines de mètres de tissu.
Loïe Fuller in her original serpentine dress FULLER, L., 1913, p. 29. |
Loie Fuller - "Serpentine" dance, 1892 Jerome Robbins Dance Division, The New York Public Library. (1892) |
"Loïe Fuller dansant avec son voile" Wikimedia Commons |
Ainsi, la robe d’une danseuse serpentine de ses débuts est décrite comme suit :
The Scene:
(…) She was bareheaded and wore the simplest looking sort of a dress of China silk. Never was dress waist more plainly made, or skirt with less ornaments.
(…) The girl was what is known as a “serpentine dancer”, and that was her serpentine skirt. It was made of the lightest silk that the Asiatic looms can produce. The dressmaker who fashioned it had to make it as the cover of an umbrella is patterned. Many lengths of silk of the full width were cut at the right length to fall from the girl's waist to the ground. Then each of these pieces was cut into the shape of a wedge, the bottom being of the full width and the top of each wedge being only two inches wide were it was to be sewn to the waistband. The result was that the dressmaker hung upon the waist of that girl of ordinary size with no less than 100 yards of silk, and the bottom of the dress was so big that, if a gust of wind came and blew it up into what the little girls call “a cheese” it would make a circle of thirty yards’ circumference” (…) These dresses, worn by the few women who are doing the serpentine dance just now, vary greatly in the quantity of silk they use up. Some are twenty-five, some are thirty-five, and some are fifty yards in length around the hem. In such a dress Loie Fuller has recently entertained our Minister to France.”
The Sun, New York, lundi 22 janvier 1893, p. 4.
L'effort musculaire requis pour manier autant de mètres de tissu tout en obtenant un résultat artistique est très intense et complexe. C’est pourquoi certains maîtres décident d'initier les apprenties à la technique et à la précision des mouvements avec ces étoffes sans qu’elles ne portent la robe lourde. Papinta, l'une des plus célèbres artistes serpentines américaines, décrit dans une interview la rigueur du travail préparatoire pour maîtriser les étoffes et montre sa musculature développée et sculpturale :
While this may seem just and right to those who know nothing about such spectacular acts, people who have had stage experience realize that there is a great deal more in the work of the skirt or fire dancer than may appear upon the surface.
From beginning to end it is hard work. Let me make that clear, for that fact is the result of many years’ hard experience on my part. I have learned that it is not an easy thing to keep up a continuous motion for twenty minutes, swirling two hundred yards of silk about your heart in such a manner that it will produce the picture that you desire to present.
As the result of this exertion of strength the development of my arms and back are something remarkable for a woman of my proportions. While my work was not of the kind to make them knotty, it has increased the sinews gradually until, it is safe to say, these muscles possess the strength of an average well-built man.
PAPINTA, 1900, p.8.
"Wonderfully developed muscles of Papinta, the fire dancer"
PAPINTA, 1900, p.8.
Les effets électriques
Dans tous les cas, la révolution causée par la création de la danse serpentine n'est pas due exclusivement aux caractéristiques de cette robe spectaculaire composée de mètres et de mètres de tissu, ni aux mouvements brillants qui animent les étoffes. Le véritable secret réside dans l'utilisation de la lumière. Loïe Fuller imagine son corps comme le porteur d'une toile sur laquelle seront projetés des faisceaux lumineux provenant de différentes directions et avec diverses intensités. Les replis et ondulations de ses tissus captent les éclats et ce tapis lumineux en mouvement, qui se déplace dans l’espace, recrée des images extraordinaires et changeantes. Un des effets les plus recherchés est de donner l'impression au public d'assister à une danse parmi les nuages grâce au bain de lumière que les techniciens d'éclairage dirigent vers les étoffes vaporeuses de la danseuse, étoffes qui semblent également la poursuivre dans cet espace irréel. Sans oublier l'élément décisif : les tonalités de cette lumière. L'artiste devient une maîtresse de la couleur. On dit qu'il n'y avait jamais eu auparavant un tel déploiement d'éclairage coloré dans un théâtre.
"The Skirt Dance. The Magic Lantern Projectors and Arrangements of the Stage"
Scientific American, 20 juin 1896, p. 392.
Tout au long de sa carrière, Loïe Fuller continue d'améliorer ses spectacles grâce à l'éclairage qu'elle utilise pour embellir ses danses. Elle invente un projecteur qui projette des cascades de lumières colorées éphémères et changeantes. Le projecteur est composé d'une plateforme de roues en carton qui tournent devant des réflecteurs. Chacun de ces disques en carton est entouré d'un disque de gélatine, soit d'une seule couleur, soit de plusieurs couleurs combinées. Pour impressionner encore plus le public, Loïe dessine et peint des figures sur des panneaux de verre qu'elle place devant les roues en carton. Et elle ne se contente pas de créer le projecteur et les pièces complémentaires, elle conçoit également le processus d'obtention de pigments qui se dissolvent dans l'émulsion de gélatine et recréent des couleurs jamais vues. L'impact de ces images abstraites sur ses larges pièces de tissu et son propre corps lorsqu'elle danse donne à penser que l'artiste a été capable de peindre la lumière elle-même.
Depuis ses débuts, la danse serpentine va avoir d'innombrables variantes. La propre Loïe Fuller propose très rapidement des danses de papillons, de fleurs, espagnoles, de flammes... Dans de nombreux cas, le fait que la décoration portée par la robe soit suffisante pour attribuer le nom de la danse ; dans d'autres, comme dans la danse du feu, le spectateur voit la danseuse entourée de flammes qui s'éteignent et se ravivent progressivement, seconde après seconde et mouvement après mouvement de la danse. Cela est réalisé en plaçant les projecteurs sous la danseuse. L'anglaise Marie Leyton va un pas plus loin en inventant la Serpentine Électrique avec des lampes de couleurs intégrées entre les tissus de la robe qui s'allument et s'éteignent avec les mouvements de ses bras et de ses jambes.
Les danses serpentines au cinématographe (1894-1908)
Les premières années du cinéma coïncident, en quelque sorte, avec les années de programmation maximale de la danse serpentine dans les théâtres, et de nombreux films sont alors tournés. Ils sont très rapidement proposés au public, souvent dans des versions colorées, dans le but de reproduire, ne serait-ce que de façon imparfaite, l’ambiance des scènes où la danse serpentine transporte les spectateurs vers l’extase.
Les danseuses
Loïe Fuller, qui en vient à être reconnue et admirée tant dans les milieux artistiques que dans les cercles intellectuels, qui est muse de peintres et s'entoure des meilleurs écrivains de son époque, ne figure, paradoxalement, dans aucun film conservé des premiers temps du cinématographe. Est-ce à dire qu'elle n'en a tourné aucun ? Il convient d'être prudent, car de nombreux films représentant une danse serpentine et dont l'existence est attestée n'ont pas été retrouvés. On pense ici à Danse serpentine de chez Méliès ou aux films Gaumont non localisés. Mais pour les vues animées qui ont survécu au temps, aucune n'a pour interprète la créatrice de la "danse serpentine". Cette absence interroge. Si Loïe Fuller avait eu un intérêt marqué pour le cinématographe, on imagine aisément qu'elle aurait utilisé la caméra à plusieurs reprises et que sa prestation, plus pour que n'importe laquelle de ses imitatrices, aurait été conservée...
Les différentes danses serpentines ou variantes qui figurent dans le tableau ci-après sont donc dansées par des imitatrices. On y retrouve des artistes fort connues à l'époque comme Annabelle Whitford, Bob Walter ou Lina Esbrard qui côtoient des danseuses de second ordre, voire des opportunistes anonymes. Certaines parviennent à tirer leur épingle du jeu et offrent des danses d'une belle qualité alors que d'autres ne livrent que de piteuses prestations. Un cas singulier est celui de La Loïe Fuller dans la cage aux lions (Parnaland) où une certaine Miss Walters danse dans la cage aux lions surveillés par le dompteur Auguste Laurent. Cette performance est loin d'être exceptionnelle à l'époque, et l'on retrouve ainsi de nombreuses danseuses, qui n'ayant pas froid aux yeux, bravent les bêtes domptées d'un cirque, même si Miss Walters semble avoir été la seule à mériter les honneurs du cinématographe.
"À l'Olympia, Miss Sandowa, danseuse serpentine, dans la cage aux lions"
Le Petit Journal, Paris, 2 décembre 1893
L'exercice n'est d'ailleurs pas réservé aux artistes, on peut également trouver des coiffeurs ou barbiers prêts à relever le défi d'un rasage parmi les félins ou, même, le mariage de Rosa Bouglione célébré, en 1928, dans la cage avec pour témoins plusieurs animaux sauvages.
Le succès immense de la danse serpentine va susciter de très nombreuses imitations, mais également un nombre respectable de versions parodiques. On ne peut qu'être surpris par la précocité de la Skirt Dance Dog de la société Edison où, comme son nom l'indique, c'est un chien qui est à la manœuvre. Il ne sera d'ailleurs pas le seul puisque l'on retrouve chez Acres (Skipping Dogs) comme chez Lumière (Chiens savants : la danse serpentine) des canidés à l'œuvre. Deux célèbres artistes de l'époque ne vont pas reculer devant des imitations parodiques : Leopoldo Frégoli et Little Tich. Le transformiste italien, mondialement connu, n'hésite pas à endosser le costume de danseuse pour exécuter la serpentine. Pour sa part, l'acteur britannique de petite taille va mettre tout son talent afin de revisiter à sa manière la célèbre création de Loïe Fuller.
Sources
FULLER, Marie Louise, "The Serpentine Dance", [Copyright], New York, 1892, 3 p. (+ "Marie Louise Fuller against Minnie Renvwood Bemis". 3 juin 1892)
FULLER, Marie Louise, "Design for a dancing-dress". Brevet USD21458S. 12 avril 1892.
FULLER, Marie Louise, "Design for a dancing-dress". Brevet USD21526S. 10 mai 1892.
FULLER, Marie Louise, "Design for a dancing-dress". Brevet USD21527S. 10 mai 1892.
FULLER, Marie Louise, Fifteen years of a dancer’s life, Londres, Herbert Jenkins Limited, 1913, 288 p.
FULLER, Marie Louise, "Garment for dancers". Brevet US518347A. 17 avril 1894.
FULLER, Marie Louise, "Mechanism for the Production of Stage Effects". Brevet US513102. 23 janvier 1894.
FULLER, Marie Louise, "Theatrical Stage Mechanism". Brevet US533167. 29 janvier 1895.
GARELICK, R. K. Electric Salome: Loie Fuller's Performance of Modernism, Princeton, NJ, Princeton University Press, 2007.
LISTA Giovanni, Loïe Fuller. Danseuse de la Belle Époque, Paris, Stock/Éditions d'art Somogy, 1994, 680 p.
LISTA Giovanni, Loïe Fuller. Danseuse de la Belle Époque, Paris, Hermann Danse, 2006, p. 688 p.
PAPINTA, “When Dancing is Hard Work”, Wheeling News-Register, Wheeling, dimanche 27 mai 1900.