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GRUPO DE REFLEXIÓN SOBRE EL MUNDO HISPÁNICO

Marcel JAMBON

(Barbezieux, 1848-Paris, 1908)

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Jean-Claude SEGUIN

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Marcel Jambon épouse Suzanne, Victoire Lamothe. Descendance:

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De son enfance, passée à Barbezieux, Marcel Jambon a conservé quelques souvenirs qu'il a confiés à J. Corderoy du Tiers :

Je suis né à Barbezieux le 19 Octobre 1848 d'une famille '' d'artisans. Mes parents ont tous été boulangers là-bas, mon père a rompu la tradition, il était boucher. Je n'ai passé à Barbezieux que les premières années de mon enfance ; mon père n'avait pas l'esprit pratique, après de mauvaises affaires, il dut accepter une place de gendarme, c'est alors que nous partîmes pour Paris. J'avais 5 ans.
[...]
Il est déjà si loin le temps où j'allais en classe chez les sœurs, au château ... J'ai cependant gardé une très vive affection pour mon clocher et j'ai là-bas un coin de terre, un "caillou" au bord du Gat, le seul endroit de la campagne barbezilienne où il y ait de l'eau. J'aime fort ce petit domaine où je vais trop rarement à cause des exigences du travail. Aussi souvent que possible je retourne néanmoins à Barbezieux. J'y ai presque toute ma famille : mon cousin Piron l'horticulteur, Mme Gilbert, ma tante, et bien d'autres, sans compter tous les amis. Mais j'ai si peu de loisirs, pensez donc, je n 'ai jamais pris plus de deux jours de congé, juste le temps de courir à Barbezieux, d'embrasser les miens et de repartir. La dernière fois que j'y fus, le Sous-Préfet et le Maire m'ont demandé des décors pour le théâtre de Barbezieux. Je me suis fait un plaisir d'accéder à leur demande.


CORDEROY, 1904: 391.

C'est en 1853 que la famille part à Paris et que le jeune Marcel Jambon va rejoindre, en 1859, l'atelier des décorateurs Rubé et Chaperon où il commence à apprendre son métier : 

Mais ne nous égarons point, j'en étais à mon arrivée à Paris; jusqu'à onze ans je fus chez les frères, puis comme il fallait gagner sa vie, (ma mère, costumière au théâtre, travaillait tout le jour, mon père n'économisait point), j'entrai dans l'atelier de MM. Rube et Chaperon pour faire les courses, allumer le feu, chauffer la colle, etc. Je gagnais vingt sous par jour.
C'était débuter bien petitement dans la carrière des arts ; ma jeunesse ainsi commencée fut très pénible et très malheureuse.
Je n'ai connu que le travail, jamais le plaisir. Jusqu'à 17 ans, ma mère et moi nous partagions nos maigres gains et cela subvenait à peine à nos besoins ; ma chambre était si petite que je pouvais aisément ouvrir la porte avec mon gros orteil sans me déranger de mon lit. La nature m'a heureusement doué d'une santé de fer et je ne me suis jamais découragé. On m'avait cependant reconnu certaines dispositions à l'atelier ; j'avais suivi le soir des cours de dessin et j'étais devenu élève sur ma demande. C'est à cet âge de 17 ans que mes patrons m'envoyèrent pendant une année chez Mazerolle et Dubuf apprendre à faire la figure. J'ai retiré grand profit de cette année au point de vue de la culture artistique générale. Je devins "bouche-trou" à l'atelier, c'est-à-dire capable de remplacer n'importe qui et d'aborder n'importe quelle besogne. A 18 ans je savais parfaitement mon métier ; ma situation s'améliora ; j'avais gagné trois francs par jour, on m'en donna quatre...


CORDEROY, 1904: 392.  

Sa formation à peine achevée, il échappe au service militaire, mais la guerre de 70 le conduit sur le front. Il est au fort d'Issy pendant tout le siège :

A ce moment je tire au sort, j'amène  un bon numéro qui me dispense du service militaire, mais la guerre éclate et je pars dans la Mobile.
[...]
Je fus décoré pour avoir été chercher sous le feu de l'ennemi mon lieutenant blessé. Voilà tout, c'est bien simple; passons.


CORDEROY, 1904: 393.

Il est décoré de la médaille militaire, le 4 février 1871. Il va reprendre son travail dans le même atelier et participe à la réalisation de nombreux panoramas :

J'ai repris mon travail après la guerre, rue Sambre-et-Meuse, toujours dans le même atelier ; je gagnais alors cent sous par jour.
Je n'ai été associé à la maison qu'en 1884.
J'avais cependant fait déjà personnellement pas mal de grands travaux. C'était l'époque où les panoramas avaient la vogue, j'en fis plusieurs; mon patron me donnait un congé et je travaillais avec d'autres peintres. J'ai collaboré ainsi avec Detaille et Neuville ; ces journées-là étaient bonnes à tous égards...
C'est aussi l'époque où je me suis mis à voyager: j'ai compris que la supériorité dans notre art serait à celui qui donnerait comme guide à son imagination des documents précis, des souvenirs personnels, une érudition complète. Le décorateur ne doit pas être uniquement un peintre de fantaisie, il élèvera son art bien plus haut s'il est en même temps un réaliste. Quand on a joué La Marchande de Sourires à l'Odéon, j'avais fait entièrement les décors, mon patron pour me récompenser m'emmena à Venise. Nous devions monter justement pour la saison prochaine Schyllock, le Juif de Venise. Je rapportai de mon voyage nombre d'études. Mon patron m'offrit encore un voyage en Espagne, puis j'allai en Russie chercher des documents pour le panorama de Cronstadt, en Suisse pour Guillaume Tell, en Hollande pour Le Prophète, en Afrique pour L'Autre France.
J'ai voyagé tant que j'ai pu, voyant le plus de choses possible, ne m'arrêtant que si j'étais à court d'argent. Je pourrais vous montrer des études du monde entier, j'ai là des croquis, des photographies de tous les pays. Quand je fais de la reconstitution historique, j'observe les mêmes principes; je réunis toutes les estampes, toutes les pièces intéressantes, je tiens à être scrupuleusement exact.
En 1875 je me suis marié, puis installé· ici; j'ai fait dans cet atelier tous mes grands travaux, j'y ai formé un élève, M. Bailly, qui est maintenant mon gendre et mon associé. Lui et mon fils continueront mon oeuvre.
Le dernier voyage que .je fis fut la traversée de toute la Sibérie et de la Mongolie; je préparais alors pour l'Exposition de 1900 le panorama du Transsibérien. C'est mon gendre qui a terminé le voyage, il est revenu par la Chine, le Japon et les lndes...


CORDEROY, 1904: 393.

Depuis 1884, Marcel Jambon est peintre décorateur de l'Opéra, de la Comédie Française, de l'Odéon... Il participe également aux travaux à l'Exposition Universelle de 1889: décoration du vestibule et de la Galerie du Palais des Machines, de la Passerelle de l'Alma, Décoration de diverses sections Françaises et étrangères et des maisons de l'Histoire de l'habitation, Construction d'une partie des habitations. Il reçoit cette même année la Légion d'Honneur

C'est en 1891 que Marcel Jambon va s'établir à son propre compte et ouvre son atelier, de 80 m sur 30 m, au pied des Buttes-Chaumont, au 73, rue Secrétan. La plupart des grands théâtres (Opéra, Opéra-comique, Comédie française, Porte Saint-Martin, etc.) font appel à lui. Il réalise un nombre incalculable de décors à cette époque. Parmi les tableaux qu'il exécute, La Fuite en Égypte et le Sphinx pour le mystère L'Enfant Jésus (1896) de M. Ch. Grandmougin (Gil Blas, Paris, 26 mars 1896, p. 3), inspiré de la toile d'Olivier Merson, La Fuite en Égypte, est directement utilisé pour La Fuite en Égypte, tourné par Alexandre Promio, en 1898.

Marcel Jambon va en effet participer à l'aventure du cinématographe, sans doute, à partir de septembre 1897 et ses premières collaborations avec la maison Lumière. S'il n'est pas certain qu'il ait réalisé pour l'écran des décors, en revanche, il peut en fournir de nombreux, qui peuvent ainsi être recyclés de la scène vers le cinématographe. Il dispose d'un tel stock, que les cinématographistes comme Promio peuvent sans nul doute se servir : 

Tandis que Promio rentrait en France auréolé et qu'il s'apprêtait à tourner pour le compte des frères Lumière, des bandes composées, cela dans un terrain vague des Buttes-Chaumont, avec des décors loués chez Jambon : Les Dernières CartouchesUn combat sur la voie ferrée, des scènes de la Passion, etc.etc.


G.-Michel Coissac, Le Monde illustré, Paris, 25 avril 1925, p. 318.

Certains de ces décors sont utilisés à plusieurs reprises pour différentes productions, comme dans le cas de La Fuite en Égypte qui est également celui de la version Gaumont de 1899. Il poursuivit également sa collaboration avec les théâtres parisiens et réalise, parmii d'autres, avec Bailly, les décors de La Duchesse de Berry (L'Ambigu, 1899).

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Marcel Jambon à son chevalet, 1908

Grâce à la revue La Vie illustrée, nous savons comment le décorateur Jambon procède au moment où il réalise (janvier 1901) les décors d'Astarté réalisés pour l'Opéra de Paris. La première étape consiste à réaliser une maquette, placée sous la totale responsabilité du " maître " :

La maquette consiste en une boîte carré peinte en rouge, ouverte d'un côté, un peu à la façon des théâtres enfantins. Dans cette boîte viennent se placer les découpages de carton, peints soigneusement à l'aquarelle, et qui doivent simuler exactement le décor à faire. Ces découpages sont, naturellement, exécutés à l'échelle afin que la reproduction en grandeur nature se fasse dans les dimensions exactes. Pour les décors sans grande importance et les paysages des toiles de fond, on dessine aussi dans les mesures données, mais simplement sur une feuille de papier que l'on place dans un châssis grillagé de fils de fer ; ce dessin est ensuite reproduit sur la toile par le procédé dit " du carreau ".


La Vie illustrée, Paris, nº 119, 25 janvier 1901, p. 276.

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M. Jambon, son gendre, et ses principaux collaborateurs établissant un décor M. Jambon et ses collaborateurs traçant et peignant les décors d'Astarté
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Maquette d'un décor d'Astarté M. Jambon à sa table d'études Un coin achevé des décors d'Astarté
La Vie illustrée, Paris, nº 119, 25 janvier 1901, p-274-275 

Il est très probable que la technique utilisée pour le théâtre soit très similaire à celle que Marcel Jambon met en place pour le cinématographe. Suite à la réalisation de la maquette, c'est le machiniste qui réalise les châssis recouverts de toile qui sont étendus à terre. Puis ce sont les " traceurs " qui s'occupent des grandes lignes et posent les indications architecturales. Ensuite, à l'aide pinceaux à manches courts et dessinent les cartouches, les chapiteaux, les ornementations... Viennent ensuite les " aides " dont le rôle essentiel est de redupliquer les motifs et les décorations. Le décor est travaillé à terre, jamais dressé, afin de laisser à la peinture le temps de sécher.

Le rôle de Marcel Jambon, au théâtre comme au cinéma, est essentiel au cours de ces années. Toujours à la même époque, il va réaliser, à l'occasion de l'Exposition universelle, les décors du panorama du Transsibérien, l'un des attractions les plus visitées :

C'est dans l'enceinte du Pavillon sibérien que la Compagnie internationale des wagons-lits a organisé l'exposition du chemin de fer transsibérien, tel qu'il fonctionnera sur les lieux dès 1901. Les spectateurs sont assis dans un des wagons du train de luxe de la compagnie ; les voitures sont les mêmes que celles du grand chemin de fer asiatique, et animées d'un mouvement de trépidation qui donne l'illusion de la réalité.
À droite et à gauche, par les portières, on voit se dérouler le panorama complet du pays compris entre Moscou et Pékin, avec arrêt aux stations principales. Les immenses toiles qui ne mesurent pas moins de 100 mètres de longueur, et que déroule un ingénieux mécanisme, sont dues au décorateur Jambon. Elles constituent une étape nouvelle dans l'histoire des dioramas.

L. de Quellern, L'Exposition 1900 par l'image, Paris, S. Schwarz, 1900, p. 384.

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R. de Ocha, Transsibérien, 1900

Marcel Jambon va devenir, par ailleurs, un collaborateur régulier de la maison Gaumont, ce que nous révèle Alice Guy dans ses mémoires, par ailleurs assez approximatives, où elle est se souvient, émue, du grand décorateur :

Je me souviens de ma rencontre avec Jambon, à cette époque célèbre décorateur pour les principales scènes parisiennes. Gaumont étant absent, je le reçus et me mis bien naturellement à son entière disposition pour tous les renseignements dont il avait besoin, il m'en fut reconnaissant et nous devînmes une paire d'amis. Lorsque je vins le voir dans le vaste atelier qu'il possédait près des Buttes Chaumont, pour lui commander quelques rideaux de scène, une vingtaine de peintres travaillaient à des toiles étendues à terre. Jambon lança cet ordre saugrenu qui mit ma timidité à l'épreuve : "·Portez armes, Messieurs, voici la Princesse ! ", et tous les rapins s'empressèrent de porter leurs longs pinceaux à l'épaule.


GUY Alice, Autobiographie d'une pionnière du cinéma (1873-1968), Paris, Denoël/Gonthier, 1976, p. 80

On peut penser qu'entre 1902 et 1907, période au cours de laquelle la réalisatrice a la responsabilité des fictions produits par Gaumont, l'essentiel des décors a été réalisé par Marcel Jambon.

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Le Perscepteur trace les perspectives Vue de l'atelier dans son ensemble Les élèves
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Le premier dessin - Mise en place Le pointillage ou piquage Jambon, Bailly, élèves
Le Peintre décorateur Jambon
La Revue illustrée, Paris, 20 décembre 1906 

Même après le départ d'Alice Guy pour les États-Unis, la maison Gaumont fait appel aux ateliers Jambon, comme le fait également la maison Pathé pour laquelle ils travaillent, en particulier en 1909-1910, après le décès du décorateur : Les Paysans (Charles Decroix, 1909), Dans l'Hellade (Charles Decroix, 1909) et Cléopâtre (Ferdinand Zecca et Henri Andréani, 1910)  sont sans doute à mettre au crédit de son gendre Alexandre Bailly.

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Charles Decroix, Dans l'Hellade. 1909 

Sources

CHEVROU Gaston, Biographie de Marcel Jambon, Barbezieux, Imp. Emile Venthenat, 1904. (repris dans Société archéologique historique et littéraire de Barbezieux et du sud Charente, Bulletin Annuel. Nouvelle Série. Tome XXXIII. Année 1990, p. 113-118).

CORDEROY DU TIERS J., "Biographies charentaises, Marcel Jambon" dans Revue des Charentes, mars 1904, p. 389-394.

GINISTY Paul, La Vie d'un Théâtre, Paris, Librairie C. Reinwald, 1898, 176 p. 

GONDY DE SEINPREZ, "Le Peintre Décorateur Jambon", Revue illustrée, 20 décembre 1906, p. 465-469.

GUY Alice, Autobiographie d'une pionnière du cinéma (1873-1968), Paris, Denoël/Gonthier, 1976,

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1897

1898

Les décors "Jambon" sont également présents dans d'autres productions, après la mort de Marcel Jambon.

1909

  • Les Paysans (Charles Decroix)
  • Dans l'Hellade (Charles Decroix)

1910

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