Le Centenaire de N.-D. des Dunes

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Le Centenaire de N.-D. des Dunes

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1 Étienne Thévenon  
2 Étienne Thévenon
3 01/06/1903  
4 France, Dunkerque
 

 

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12/09/1903 France, Lille Étienne Thévenon

Le Centenaire de N.-D. des Dunes

       

CINEMATOGRAPHE FRANÇAIS. — Vendredi le cinématographe français donne un spectacle nouveau : Le centenaire de N.-D. des Dunes, à Dunkerque.
Incessamment, on reprendra : La Belle au bois donnant, féerie en 12 tableaux.


L'Egalité de Roubaix-Tourcoing, Roubaix, 12 septembre 1903, p. 4.

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dunkerquenotredamedesdunes

Les fêtes de Notre-Dame des Dunes, Dunkerque
Le Pèlerin, n º 1380, 14 juin1903. 

 

LES FÊTES DE NOTRE-DAME-DES-DUNES
Cent mille manifestants. Les évêques acclamés.
Par dépêche de notre envoyé spécial
Dunkerque, 1er juin.
La Ville de Dunkerque ou plutôt la population catholique de la région du Nord - car soixante- dix mille étrangers sont arrivés ici depuis deux jours d'après les statistiques officielles de la gare – vient de donner un magnifique témoignage de sa foi en même temps que d'infliger une dure leçon à nos gouvernants. M. Combes bien informé, prévoyait sans doute l'éclat de cette manifestation lorsqu'il envoyait son préfet auprès de la municipalité pour exiger un arrêté qui interdisait aux prélats étrangers au diocèse de figurer à la cérémonie.
II faut d'ailleurs rendre cette justice au président du conseil, qu’il a tout mis en œuvre, d'abord pour essayer d'amoindrir la solennité de la protestation des catholiques du Nord, ensuite pour déterminer les fidèles, de son « bloc » à provoquer à cette occasion des troubles dans la. Rue. II aura par deux fois échoué. La fermeté des adjoints de Dunkerque et la correction intraitable de l'archevêque de Cambrai ont laissé au cortège toute sa signification, comme toute sa splendeur, et M. Combes et son préfet auront en pure perte fait imprimer, dans les journaux de leur choix, qu'en présence de l'attitude du clergé et de la municipalité, ils ne répondaient pas de l'ordre au cours de la cérémonie, invitant ainsi sournoisement la populace des quais à provoquer des bagarres et créer des incidents.
Pas un-tri hostile, pas une protestation, si timide fût-elle, ne s'est élevé sur le passage des évêques qui ont, bien au contraire, été salués par d’enthousiastes acclamations.
J'avoue, que j'étais loin de m'attende au spectacle auquel j'ai assisté aujourd’hui. Certes, les programmes annonçaient que le cortège historique reconstituerait l'histoire entière de la dévotion à Notre-Dame-des-Dunes, et je prévoyais bien que ce serait le prétexte à costumes et à cavalcades ; mais, peu au courant des traditions du pays et de ses coutumes, je craignais, l'ordinaire apparition des mousquetaires insuffisamment brossés, chevauchant des montures fourbues, où se symbolise d'habitude la pompe des reconstitutions historiques. Je me méfiais aussi, je l’avoue, de Charles-Quint et de Jean Bart, et de Marie-Thérèse, et de Louis XIV, et de beaucoup d'autres seigneurs de moindre importance qui, à pied ou à cheval, devaient précéder le groupe des évêques modernes. Ce rapprochement un peu serré du passé et du contemporain, ce mélange de sacré et de profane n'étant pas sans m'inquiéter.
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J'avais le plus grand tort, car J'ignorais avec quel luxe, quel souci de la plus scrupuleuse exactitude historique, quelle somptueuse prodigalité il est ici de tradition que les plus riches familles de la ville, comme les plus respectées, organisent ces sortes de cortèges, jeunes gens et jeunes allés tenant à honneur de figurer dans une cérémonie dont il leur appartient d'assurer le caractère d'élégance et de faste.
Parmi les trois mille personnages qui ont défilé aujourd'hui à travers les rues de Dunkerque on peut dire qu'il n'en était pas un dont le costume n'offrit un détail pittoresque ou ne rappelât un souvenir, intéressant, pendant que de nombreux groupes se présentaient sous leurs couleurs éclatantes, leurs broderies et leurs joyaux dans un incomparable éclat.
Vous connaissez à quelle occasion cette fête avait été organisée. II s'agissait, de célébrer le cinquième centenaire de la découverte de la statue de Notre-Dame-des-Dunes, dont il importe de rappeler en deux mots la légende. En 1403 donc, des ouvriers occupés à relever les remparts de Dunkerque sur l’ordre du duc de Bar, vassal du comte de Flandre, découvrirent en fouillant le sol une source d'eau douce, circonstance qui les émerveilla d'autant plus que l'eau de mer qui s'infiltrait dans tous les alentours rendait d'ordinaire-toutes les sources saumâtres. Près de cette source, ils trouvèrent une petite statue de la Vierge portant l'Enfant-Jésus. La statue n'avait pas de socle et le dos était lisse comme si elle avait été sculptée pour être attachée à un mur ou à une proue de navire.
C'est cette image que l'archevêque de Cambrai, entouré de six évêques, a aujourd'hui couronnée en grande pompe sur la grande place de la ville, en face de la statue de-Jean-Bart, aux applaudissements de cent mille personnes attachées à la tradition qui représente la Vierge-des-Dunes comme la gardienne de la ville et la protectrice des marins.
Le cortège s'est formé à l'endroit même où la statue fut trouvée à la chapelle des Dunes, et, dès le premier instant, dans le bruit des orphéons, la rumeur des cantiques, le fracas des tambours, la  même question défrayait les conversations discrètes. Les évêques viendront-ils ? Oui, ils sont venus, malgré la défense de M. Combes, ceux du moins qui avaient entrepris le voyage avant d'avoir vu la dépêche officielle ; Mgr Dubillard, évêque de Quimper ; Mgr Dizien, évêque d’Amiens ; Mgr Williez, évêque d'Arras ; Mgr Totron, évêque de Jéricho ; Mgr Catteau, évêque de Luçon ; Mgr Delannoy, évêque d'Aire-sur-l’Adour ; Mgr Monnier, évêque de Lydda, auxiliaire de Cambrai, qui tous avaient tenu à répondre à l’appel de Mgr Sonnois.
Mgr Turinaz, évêque de Nancy, n'a pas suivi la procession, retenu chez lui par la préparation du très beau discours qu’il a prononcé tout à l’heure à l’église Saint-Eloi.
Le défilé avait été divisé en trois parties qui se sont mises en route dans l’ordre suivant :
D’abord l’ommegang ou revue de toutes les corporations de la région. Il n’y en avait pas moins de soixante, toutes précédés de leurs musiques, de leurs bannières, quelques-unes accompagnant des délégations de paroisse, portant dans des châsses anciennes d’une grande richesse des reliques de saints ; puis la marche historique comportant trois mille personnages reproduisant quarante-cinq scènes de l’histoire de Notre-Dame-des-Dunes ; enfin, le cortège d’honneur formé par le clergé de Dunkerque, les évêques, l’archevêque de Cambrai, que précédait un groupe de bassinnen (vieux mot dont on appelle ici les femmes de pêcheurs) portant la statue de la Vierge des Dunes.
***
On est arrivé ainsi au quai du Leughenaer, où une estrade avait été élevée pour les prélats. Les sept évêques y ont pris place et, aux applaudissements de la foule et aux acclamations des équipages montés dans les vergues des bateaux mouillés à quai, solennellement, du même geste ample et lent, ils ont béni la mer. Puis ils se sont assis pour assister au défilé du cortège, et c’était vraiment un spectacle curieux que de considérer ces sept prélats, la mitre en tête et la crosse à la main, devant qui passaient, tour à tour, les durs souvenirs des guerres passées, les désastres oubliés et les gloires éteintes, les rudes guerriers et les vierges douces des temps héroïques, les splendeurs des cours et la paix mystérieuse des cloîtres évoqués en des images d’une fidélité pittoresque ou d’une richesse luxueuse.
C’est tout le passé de notre pays qui s’égrène, toutes les vieilles mœurs qui revivent, tous les anciens costumes qui se déploient, les antiques chants qui retentissent autour de cette petite statue de bois vieille de cinq siècles, devant ces sept prélats d’une religion restée en dépit de tout, des guerres, des révolutions et des persécutions, immuable et sereine. Et cela aussi est un symbole.
Vous pensez bien qu’il n’entre pas dans mes projets de vous décrire par le menu les magnificences de ce cortège.
Il me faut pourtant faire une exception pour un groupe important d’anges qui chantaient, en brandissant des fleurs, un Regina coeli d’allure si poétique que le public en a redemandé l’exécution par deux fois. Il est superflu d’ajouter que ces anges étaient des jeunes filles toutes désignées par leur grâce pour remplir cet emploi. La Cour de Louis XIV par son luxe, celle de Louis XV par son élégance, ont soulevé au passage d’unanimes applaudissements et comme c’est inconvénient du métier de Reine que d’avoir à subir l’admiration du premier venu, Marie-Thérèse me pardonnera de louer sans réserve dans cette gazette la grâce de son visage, la beauté de sa taille et la splendeur de son manteau de cour.
Ni la duchesse de Gramont, ni la duchesse de Chevreuse, qui étaient aux côtés de Sa Majesté, ne m’en voudront non plus, je suppose, de constater de quelle élégance Marie-Thérèse aimait à s’entourer ! Enfin, il serait tout à fait injuste de ne pas mentionner le groupe si séduisant des demoiselles d’honneur en brocart blanc.
Mais voici les mineurs d’Aniche qui, fermant le cortège, ont mission d’entourer les évêques, et nous nous remettons en route.
Cette fois, c’est toute la ville que l’on traverse pour ainsi dire rue par rue. Dans les quartiers du port, où habite une population en partie hostile aux idées religieuses, les sept évêques ont pu passer, bénissant à droit, bénissant à gauche, sans qu’une seule protestation survînt. Bien mieux, un incident touchant a provoqué dans ce quartier des applaudissements. Une bonne sœur de Saint Vincent-de-Paul s’étant agenouillée pour recevoir la bénédiction des prélats, Mgr Dubillard, qui marchait en tête des évêques, s’est arrêté devant la religieuse et très lentement, au-dessus de la cornette blanche, a fait un grand signe de croix. On a applaudi et crié « Vive la liberté ! » Grand Dieu que va dire M. Combes ?
Depuis cet incident, les acclamations gagnent de proche en proche. On a d’ailleurs applaudi, pour ainsi dire sans discontinuer, et c’est au milieu d’une enthousiaste ovation que le cortège est arrivé place Jean-Bart. La foule est tellement compacte qu’il a fallu établir un service d’ordre très complet. Deux bataillons d’infanterie, commandés par un colonel, que le préfet a fait venir à tout hasard, semblent rendre les honneurs. Une estrade même a été préparée. Les femmes de marins, dans leur costume d’une extrême richesse, tout recouvert de bijoux, y portent la statue de Notre-Dame-des-Dunes.
L’archevêque de Cambrai dépose une couronne de diamants sur la tête de la Vierge. Les cloches sonnent à toute volée. Un choral chante une cantate. On donne le vol à une centaine de pigeons. Les évêques bénissent la foule, qui n’arrête pas de crier : « Vive la liberté ! » Voilà ce que pourra dans son rapport raconter à M. Combes le préfet Vincent.
Il est impossible d’assister à une plus grandiose manifestation de foi, à une plus solennelle protestation contre la tyrannie de misérables proscripteurs, pourra-t-il ajouter, s’il a quelque souci de la vérité et son franc parler.
La cérémonie s’est terminée à l’église Saint-Eloi, où Mgr Turinaz a prononcé le sermon. Le chœur avait une disposition spéciale. Le évêques, rangés aux côtés de l’archevêque de Cambrai, étaient assis sur un rang, tournant le dos à l’autel. Devant, occupant presque complètement le chœur, les jeunes femmes de la ville, qui tout à l’heure avaient figuré au cortège, avaient pris place sur les marches, et le spectacle était élégant et luxueux autant qu’imprévu de toutes ces robes de soir et de velours, de ces dentelles et de ces ors, de tous ces jeunes visages souriants sous les lourdes hermines ou les hennins pointus.
Mgr Turinaz avait pris comme sujet de son discours : « La foi et le patriotisme ». Il a été interrompu par les applaudissements des fidèles, non qu’il ait fait allusion directe aux tristesses de ce temps ; il lui a suffi, pour provoquer le bruyant enthousiasme de son auditoire, de prononcer le mot de liberté. Il l’a prononcé trois fois, et trois fois on l’a applaudi, tant il est vrai que ce mot de liberté est aujourd’hui la devise des croyants.
Cent mille personnes manifestant leur fidélité et leur foi au passage de courageux prélats, un évêque patriote acclamé dans une église où il venait faire l’éloge des vertus guerrières et réclamer pour tous la liberté d’aimer leur patrie et de pratiquer leur culte, tel est le bilan de cette journée ! Qu’est-ce que la rage sectaire de M. Combes va inventer demain pour répondre à cette solennelle manifestation ?
G. de Maizière.


Le Gaulois, Paris, 2 juin 1903, p. 2.

 

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