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Edouard VII à Montreuil Couronnement truqué Salle du trône en toile peinte.—Simili-Majestés. La cérémonie historique. — Tournez la manivelle Messieurs les Anglais, on vous trompe ! et nous, tenons à vous le faire savoir, au risque de doucher votre enthousiasme de spectateurs émerveillés ! La vérité avant tout ! Oui ! l'on vous trompe, Londoniens, en vous annonçant que le jour même du couronnement de Leurs Majestés Edouard VII et Alexandra dans la célèbre abbaye de Westminster, vous pourrez contempler, de votre loge ou de. votre fauteuil, dans un music-hall célèbre, la cérémonie historique, prise sur le vif, au moyen de la cinématographie, et immédiatement reproduite sur pellicule pour, votre joie. Certes, on vous montrera quelque chose, mais ce quelque chose sera — passez-moi le mot — " du chiqué ", du trompe-l'œil, du théâtre de banlieue. Edouard VII qu'on vous exhibera, solennel sur son trône, l'Alexandra gracieuse et grave qui prendra place à ses cotés, seront des figurants couronnés à Montreuil, dans une salle postiche, enrichie de toiles peintes et meublée de fauteuils en carton !... Vrai de vrai ! Nous avons vu le matériel dans le magasin aux accessoires de l'opérateur, qui n'en est pas à son coup d'essai en matière d'illusions. Cent cinquante artistes et figurants, revêtus de costumes authentiques, ont formé, sur tréteaux, à plusieurs reprises, sous la direction d'un ordonnateur des pompes royales, venu de Londres, la cérémonie du couronnement, et lorsque la " scène à faire " fut tout à fait au point, lorsque lords and ladies, pairs et pairesses, généraux et chambellans eurent manœuvré avec aisance et attrapé le chic anglais, le photographe tourna la manivelle de son cinéma et fixa sur une pellicule, une très longue pellicule, cette page d'histoire. On nous affirme et nous nous faisons l'écho de ce bruit sous les plus expresses réserves, que S. M. Edouard VII est garçon brasseur au Kremlin-Bicêtre, et que S. M. Alexandra fut reine de féerie au Châtelet. L'opérateur, nouveau Cromwell, leur coupe la tête froidement, et y substitue celle des vrais acteurs : c'est indispensable pour la vraisemblance. Quant à l'aristocratie anglaise de. Montreuil-sous-Bois, elle fréquente la " cour et le jardin " — car c'est en plein air que la comédie se passe — à raison de cent sous le cachet. Tantôt le régisseur demande à son personnel de constituer un commando Boer et de prendre d'assaut un Kopje des Buttes-Chaumont, qui imite à s'y méprendre les retranchements naturels du Transvaal. Tantôt, on transmue ces passe-partout en brigands Macédoniens, ravisseurs de miss Stone. Le public qui voit évoluer les personnages, dans un cadre approprié, ou à peu près, est dupe du décor et de la mise en scène. Il est sûr, bien sûr d'avoir vu un combat au Transvaai, un enlèvement en Macédoine, un couronnement à Londres. Des mots, des mots ! s'écriait Shakespeare ! Des gestes, des gestes, dit M... Et ça lui rapporte entre 4 et 10.000 francs la pellicule, quand il s'agit d'un événement unique et grandiose. Voilà le truc dévoilé. Et maintenant, MM. les Cockneys, allez au music-hall crier : hip, hip, hurrah ! au King de Montreuil les pêches ! ! ! Le Petit Bleu, Paris, 23 juin 1902.
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