Gaston MÉLIÈS

(Paris, 1852-Ajaccio, 1915)

melies gaston

Jean-Claude SEGUIN

collaboration
 Jacques MALTHÊTE-MÉLIÈS

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Voir généalogie: Marie, Georges, Jean Méliès.

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À la botte de son père (1852-1888)

Son père, installé à Paris depuis 1843, est devenu un bottier en vue de la capitale. Il a pignon sur rue, au 45, boulevard Saint-Martin. Il expose ses productions lors de l'Expostion de Londres de 1862 et son activité est décrite de façon détaillée dans le Rapports des délégués des ouvriers parisiens :

Nº 2444. MÉLIÈS (Paris).
Haute commission d'exportation ; spécimens de tous les genres de chaussure que cette maison livre au commerce. Elle n'a fait pour son exposition que ce qu'elle livre journellement au commerce. Le travail en est généralement bien soigné et porte le cachet du perfectionnement ; les matières premières sont de très-bonne qualité et ne laissent rien à désirer. Cette maison est arrivée, par son système de machines et de combinaisons économiques, à payer les façons comme les premières maisons de pratiques, et cependant ses prix de vente sont relativement bon marché. C'est ainsi que nous comprenons la concurrence.
Cette maison est une des gloires de notre industrie pour l'exportation.
Aussi sa réputation de bonne fabrication est-elle connue en France et en Amérique ; les ouvriers la citent comme étant une maison de premier ordre. Nous avons la conviction que M. Méliès, qui s'est constamment appliqué au perfectionnement de la cordonnerie, méritait un encouragement plus digne de ses efforts et de sa persévérance, et nous ne craignons pas d'avancer qu'un jury composé de ses rivaux lui eût décerné une plus haute récompense.
Nous avons remarqué, dans la vitrine de cette maison, des bottes en escarpin, exécutées par M. Grasse. Ce travail a beaucoup de mérite ; une paire de bottes vernies et une paire de bas de soie, remarquables par leur légèreté et leurs lisses collantes, imitant l'escarpin. Ce travail est bien fait, et a été exécuté par l'un des plus anciens ouvriers de la maison. Enfin, une paire de bottes en veau ordinaire, qui a été exécutée par M. Maubèche. Ces bottes, comme les chaussures qui précèdent, se distinguent par le fini du travail.


Rapports des délégués des ouvriers parisiens à l'exposition de Londres en 1862, Paris, M. Chabaud, 1862-1864, p. 41. 

Jean, Louis, Stanislas va ainsi être présent à l'Exposition Internationale de Porto (1866), à l'Exposition Universelle de Paris (1867), à l'Exposition Universelle d'Altona (1869) où il est distingué par un diplôme d'honneur pour " la perfection de sa fabrication de chaussures ", à l'Exposition Universelle Internationale de Paris (1878), à l'Exposition Universelle de Melbourne (1881)... C'est le 7 janvier 1878 qu'a été formée la Société en nom collectif MÉLIÈS, fabricant de chaussures, boul. Saint-Martin, 29 et rue Meslay, 36, pour une durée de 15 ans, avec un capital de 743 333 fr 33.

Gaston Méliès, encore jeune, va travailler dans l'entreprise familiale. La situation nationale, après la défaite de 1870, se complique et l'insurrection qui touche Paris (18 mars 1871-28 mai 1871) conduit Henri et Gaston à quitter la capitale pour aller à Niort (Madeleine Malthête-Méliès, 28-29). En février 1873, Louis s'associe avec Henri, puis avec Gaston au début de 1878. Peu avant, Gaston a épousé Françoise, Louise, Augustine Simon, fille d'un miroitier parisien. En 1888, Louis se retire des affaires, et seuls Henri et Gaston restent associés dans la Société Méliès. Grâce à sa grande expertise dans le domaine du cuir, Gaston est nommé «vérificateur du ministère de la Guerre». Il contrôle ainsi la qualité des livraisons de chaussures et d'équipement faites à l'armée et est donc en rapport constant avec les directeurs et les officiers supérieurs de l'administration du ministère de la Guerre. Il contrôle ainsi la qualité des livraisons de chaussures et d'équipement faites à l'armée et est donc en rapport constant avec les directeurs et les officiers supérieurs de l'administration du ministère de la Guerre.

Un entrepreneur malchanceux (1889-1902)

En 1889, il figure comme " vérificateur civil aux magasins d'habillement de Paris " (Journal officiel de la République Française, 14 juillet 1889, p. 3386). Le 30 novembre 1893, il devient adjudicataire du marché d'entreprises de fournitures des 2e et 5e arrondissements militaires de Paris. 

Voyant qu'il est amené à s'occuper exclusivement de fournitures militaires dans son association avec son frère, il finit par choisir de créer une maison spéciale à cet effet. L'exécution de ce marché nécessitant un capital important, il doit avoir recours à des commanditaires, mais il reste seul en nom dans les rapports avec l'administration du ministère de la Guerre qui ne traite pas avec des sociétés en commandite simple. Après la dissolution de la " Société Méliès " en janvier 1894 (la maison de la rue Taylor est vendue, Henri se retire des affaires et reçoit, avec son frère, 175000 francs chacun), la société en commandite simple "Gaston Méliès et Cie " est ainsi constituée le 1er février 1894, au capital social de 400000 francs, avec quatre commanditaires (Forêt, Cornevot, Courtoy et Freyssous). Elle a pour objet la fabrication de chaussures civiles et militaires avec siège social à Paris, au nº 110, boulevard de Vaugirard (domicile de Gaston Méliès). La durée de la société Gaston Méliès et Cie est fixée à 6 années et 6 mois (Archives commerciales de la France, Paris, 17 février 1894, p. 210), mais le marché du cuir subit une hausse spectaculaire à partir de mai 1895 (Journal officiel de la République française, "Chambre des Députés", séance du 11 décembre 1895, p. 2845). Cela est dû à une pénurie de la matière première. Le marché européen a été dégarni au début de 1895 par les maisons d'Amérique à la suite de la guerre sino-japonaise et à cause d'un arrêt de la tannerie dans le Nouveau Monde. C'est ainsi qu'à partir du 31 juillet 1895, la société Gaston Méliès et Cie doit laisser l'échéance en souffrance et le 12 août le ministère de la Guerre se voit obligé de résilier le marché. La Société est alors mise en liquidation judiciaire, le 22 mars 1896 (Archives commerciales de la France, Paris, 4 avril 1896, p. 427). Les 28 et 29 janvier 1898, le commissaire-priseur Me Caveroc met en vente un " important matériel en très bon état garnis. de la Fabrique de Chaussures militaires et équipements de M. Gaston Méliès " (La Vie Parisienne, Paris, 22 janvier 1898, p. 2). C'est au tour de la Société du personnel de la maison Gaston-Méliès de se dissoudre, le 11 juillet 1902. Entre temps, Gaston Méliès tente sa chambre à Limoges où il ouvre une usine, sans succès, avant de liquider toutes ses affaires (Madeleine Malthête-Méliès, 272-273). Le décès de sa femme, en 1901, contribue sans doute à le rendre plus disponible pour accepter l'offre que va lui faire son frère.

L'expérience américaine (1903-1906)

L'installation et le premier film d'actualité (1903)

Gaston Méliès, qui s'est toujours tenu éloigné des activités artistiques et cinématographiques de son frère Georges, est dans une situation critique en ce début de XXe siècle, tant d'un point de personnel que professionnel. De son côté, la société Star Film (ou Star Films), qui produit et diffuse les films de ce dernier, rencontre des difficultés aux États-Unis où les œuvres sont contretypées. Il va donc proposer à Gaston de partir pour contrôler directement ses affaires outre-Atlantique. C'est donc à bord de La Savoie qu'il embarque, avec son fils Paul, du port du Havre, le 21 mars 1903 pour l'Amérique où il arrive le 28. Il s'agit tout d'abord de s'installer à New York où ils trouvent un appartement, 204 East, 38th St. Père et fils s'activent pour mettre en place la succursale américaine, avant le départ du premier pour la Franceet dès le mois de juin, les premiers encarts sont publiés dans la presse. Deux films sont annoncés : Le Puits fantastique et L'Auberge du bon repos. Par ailleurs, une note attire l'attention et s'adresse aux fraudeurs éventuels : " WARNING. Unauthorized parties are advertising our new subjects, and claiming to have them for sale. Our only agents in the United States are THE AMERICAN MUTOSCOPE AND BIOGRAPH CO., Nº 11 E. 14th Street, New York. GENUINE MÉLIÈS “STAR” FILMS can be purchased only from our authorized agents, or from the undersigned. " En outre, afin de protéger la production de son frère, il enregistre ses films à la Library of Congress. Parallèlement à ses activités de manager, Gaston se lance, lui aussi, dans la réalisation de son premier documentaire. Il profite d'une compétition sportive, dans les eaux de New York, qui oppose deux voiliers, le Reliance et le Shamrock. Les conditions météorologiques n'ont pas permis que la course ait lieu le 20 août 1903, c'est donc deux jours plus tard, le 22, que Gaston Méliès va pouvoir faire ses premières armes de documentariste en filmant The Yacht Race qui va figurer au catalogue de la Star Film. C'est précisément ce jour-là que Paul embarque, dans le port du Havre, sur La Lorraine et, moins d'une semaine après, le 28 août 1903, il débarque à nouveau à New York. Sans doute a-t-il avec lui une copie - ou plutôt un second négatif - du Royaume des Fées, la nouvelle super-production que vient de terminer Georges Méliès. Il ne faut que quelques jours pour finir de mettre en place la communication grâce à des encarts dans la presse new-yorkaise au cours des premiers jours de septembre.

melies gaston 1903 star film 01 melies gaston 1903 star film
The New York Clipper, New York, June 27, 1903, p. 432 The New York Clipper, New York, September 12, 1903, p. 692.

Premières difficultés (1904)

Gaston Méliès, sur les conseils de son frère Georges, va étoffer quelque peu le personnel de la succursale new-yorkaise. Il intègre ainsi deux des soeurs de Jeanne d'Alcy, son égérie. La première, Pauline Eugénie Alice Faës (Vaujours, 16/06/1866-[New York]) a épousé (Paris 17e, 05/03/1891) Paul Würgel (Strasbourg, 25/09/1863-New York, 18 février 1904). Le couple a un enfant, René, Gustave, Albert Würgel (Paris 6e05/04/1892-Tucson, 11/1976).

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René Würgel (1919)
U.S. Passport Applications, 1795-1925
ancestry.com

Le couple est déjà installé aux États-Unis où Paul Würgel est arrivé, pour la première fois en 1900 (New York, State and Federal Naturalization Records, 1794-1940,  ancestry.com). C'est probablement après la mort prématurée de Paul, au début de l'année 1904, que son épouse intègre le personnel de la succursale. Une autre soeur, [Augusta], rejoint également la succursale de la Star Film. Les deux soeurs Faës travaillent dans les ateliers de tirage de films. Il semble pourtant que la situation se soit vite détériorée entre Gaston Méliès et les soeurs Faës (Madeleine Malthête-Méliès, 294-295).

Comme ils l'ont déjà fait l'année antérieure, Gaston et Paul vont revenir, alternativement, à Paris, d'où ils rentrent le premier en mars (La Savoie, arrivée à New York le 19 mars 1904) et le second en octobre (La Touraine, arrivée à New York, le 8 octobre 1904). En cours de l'année, la situation se complique également à cause des positions d'Edison qui tente de contrôler la production cinématographique et va poursuivre (23/11/1904) plusieurs sociétés comme Paley & Steiner, Pathé, Eberhard Schneider et Méliès. Un accord semble avoir été trouvé qui autorise les maisons de production à continuer à produire des documentaires (Musser, 402-405).

Les années prospères (1905-1906)

Coïncidence ? Toujours est-il que Gaston Méliès va réaliser son deuxième documentaire. Le 8 novembre 1904, Theodore Roosevelt, Jr. a été élu 26e Président des États-Unis, mais c'est le 4 mars 1905 qu'a lieu la prise de fonction, à Washington. Une cérémonie est organisée pour l'occasion que Gaston va donc immortaliser avec sa caméra. Il s'agit en réalité d'une série de quatre-cinq films regroupés sous le tire Inauguration Subjects. Ces vues d'actualité sont offertes au public quelques jours plus tard.

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The New York Clipper, New York, March 18, 1905, p. 112

Peu après le tournage, Gaston Méliès repart en France d'où il revient dans les premiers jours d'avril (La Savoie, arrivée à New York, 15 avril 1905). Au cours de ces deux années, la succursale américaine de la Star Film tourne à plein régime. Un catalogue général est publié en 1905 et de nombreux suppléments, consacrés à un seul film important, sont édités très régulièrement. Quant à la presse, elle annonce régulièrement les nouveautés de la maison Méliès. En septembre, Paul, qui est rentré en France, revient  aux États-Unis (La Savoie, arrivée à New York, le 15 avril 1905). C'est également le cas l'année suivante (La Savoie, arrivée le 21 octobre 1906).

Et après... (1907-1915)

Alors qu'il continue à s'occuper de la succursale de New York, Gaston Méliès, qui s'est remarié à Paris en 1907, réalise un troisième reportage (The Catholic Centennial Celebration, 290 m, sortie en mai-juin 1908). Par la suite, il va créer à Chicago (03/08/1908), avec Lincoln J. Carter et James J. Lodge, la Georges Méliès corporation (G.M.C.). Aucun film ne sera cependant tourné à Chicago à la suite d'une action en justice d'Edison. De septembre à décembre 1909,12 films seront tournés à Fort Lee (New Jersey), puis à Brooklyn (N.Y.) et 1 à Gloucester (Massachusetts). Début janvier 1910, il envoie Paul Méliès dans le sud du Texas, à San Antonio, afin de tourner des westerns. Une soixante de films sont ainsi tournés. En avril 1911, la G.M.C. va s'installer en Californie, près de Los Angeles et en novembre, Gaston Méliès vend 50% des parts de la société à la Vitagraph.Il va tourner environ 80 films en Californie et une dizaines de vues sur l'île de Santa Catalina. C'est en juillet 1912 que Gaston décide de réaliser un voyage autour du monde qui va le conduire, en particulier en Polynésie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, à Java, en Cochinchine... Il réalise une soixantaine de films et rentre en France, en mai 1913. Il décède à Ajaccio, en 1915.

Bibliographie 

MALTHÊTE Jacques, "Biographie de Gaston Méliès", 1895, nº 7, 1990, p. 85-90.

MALTHÊTE-MÉLIÈS Madeleine, Méliès l'enchanteur, Paris, Hachette, 1973, 448 p.

MUSSER Charles, The Emergence of cinema. The American Screen to 1907, New York, Charles Scribner's Sons, 614 p. 

 

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