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GRUPO DE REFLEXIÓN SOBRE EL MUNDO HISPÁNICO

SAINT-QUENTIN

Jean-Claude SEGUIN

Saint-Quentin, commune du département de l'Aisne (France), compte 47 000 habitants (1894)

1896

Le Cinétographe de M. Arnould (28 août-7 septembre 1896)

L'annonce de l'arrivée d'un cinétographe à Saint-Quentin, à la fin du mois d'août 1896, montre déjà que le cinématographe s'est rapidement diffusé sur le territoire français. L'appareil s'installe dans une salle spécialement aménagée sur la rue de la Sellerie :

Photographies animées
On nous annonce l'arrivée à Saint-Quentin du Cinétographe-la dernière création de la science moderne.
Ce spectacle, le plus séduisant et le plus merveilleux du siècle, fait courir tout paris en ce moment et cette vogue est réellement justifiée.
Luxueusement installé dans un local spécialement aménagé à cet effet - le Cinétographe ne pourra nous donner qu'un nombre restreint de représentations- les séances auront lieu à partir de vendredi 28 courant, à 8 heures 1/2 du soir.
Nul doute que le public ne se porte en foule, 18, rue de la Sellerie, pour assister à un spectacle aussi attrayant qu'artistique.
Les séances durent environ 20 minutes et se succèdent sans interruption toute la soirée.
Prix d'entrée : 0 fr. 50 ; places réservées : 1 franc.


Journal de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 28 août 1896, p. 2.

Les projections vont avoir lieu juste à côté du Grand Bazar - situé aux 20-22, rue de la Sellerie - et le nom de l'appareil, cinétographe, n'est pas une coquille de journaliste, mais bel et bien un modèle vendu par les frères Werner, en fait l'un des tous premiers à être mis en vente en 1896.

saint-quentin sellerie
Les projections ont lieu dans l'édifice qui se trouve juste à droite du Grand Bazar
Saint-Quentin-Rue de la Sellerie (Début XXe siècle)

Très peu de jours sont prévus - sans doute aussi à cause du nombre limité de vues dont dispose M. Arnould - et nous n'avons aucune information relative à la réception de l'appareil auprès des Saint-Quentinois. Un nouvel avis vient simplement confirmer le départ imminent du cinétographe et de son propriétaire :

Le Cinétographe
Cette curieuse invention qui fait courir tout Saint-Quentin au 18 de la rue de la Sellerie, annonce la clôture de ses représentations pour lundi soir. Il sera donc donné trois nouveaux spectacles, Samedi 5, Dimanche 6 et Lundi 7 courant, avec un programme nouveau, dont deux trains de chemin de fer et l’inauguration, en province, de la photographie animée en couleurs, - une pure merveille. M. Arnould, l’impresario, devant se rendre au palace théâtre de Londres, le 9, la clôture à Saint-Quentin aura lieu irrévocablement Lundi soir.


Journal de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 6 septembre 1896, p. 2.

La nouveauté, si l'on en croit cet entrefilet, ce sont les vues en couleurs, dont on semble dire qu'elles n'ont jamais été présentées en province. Difficile de le confirmer compte tenu du nombre important de cinématographes qui circulent depuis quelques mois. Le départ en catimini de M. Arnould est probablement dû à son empressement à rejoindre Londres, mais il faut également signaler que le cinétographe est loin d'être un appareil de bonne qualité, le témoignage du forain espagnol Eduardo Gimeno est là pour nous en convaincre.

Le Cinématographe de la place de l'Hôtel-de-Ville (septembre-octobre 1896)

Alors que les séances du cinétographe n'ont pas encore pris fin, les Saint-Quentinois peuvent lire dans la presse l'annonce d'une prochaine arrivée d'un cinématographe. Tout est mis en oeuvre pour que les séances se déroulent au mieux :

Nous apprenons avec plaisir qu'un véritable cinématographe va bientôt fonctionner dans notre ville, place de l’Hôtel-de-Ville, 42, dans l’ancien local du Crédit Lyonnais. Cet appareil, véritable merveille, fera certainement fureur à Saint-Quentin. Du reste la direction ne néglige rien pour qu’il en soit ainsi. L’installation électrique, confiée aux soins de M. Corbeaux, notre sympathique concitoyen, fait présager les plus surprenants résultats. Les projections obtenues feront certainement l’admiration de tous.


Le Guetteur de Saint-Quentin et de l'Aisne, Saint-Quentin, 30 août 1896, p. 2.

L'appareil fonctionne à l'électricité ce qui est loin d'être le cas général à ce moment-là. On peut aussi se demander pourquoi le journaliste parle de " véritable " cinématographe car il ne s'agit pas d'un Lumière, sans doute fait-il allusion aux multiples appareils qui existent déjà et qui donnent l'illusion d'un mouvement. Quelques jours plus tard, le journaliste rend compte d'une séance au cours de laquelle il a eu le plaisir de découvrir la nouvelle invention :

LE CINÉMATOGRAPHE de la place de l’Hôtel-de-Ville (Ancienne maison du Crédit Lyonnais)
C’est un spectacle peu ordinaire que celui auquel il nous a été permis d’assister samedi soir. La cinématographie, inconnue jusqu’à ce jour à St-Quentin, tient ni plus ni moins du prodige.
Nos lecteurs nous sauront gré de leur donner quelques renseignements sur cette intéressante nouveauté.
Disons tout d’abord que les auditeurs ont devant eux un cadre sur fond blanc d’une hauteur de deux mètres sur deux mètres cinquante de largeur. Derrière est placé l’appareil cinématographique qui lance, au milieu de l’obscurité, ses reflets électriques sur le cadre. Immédiatement apparaissent des objets qu’on fait mouvoir et des personnages qui agissent de façon à faire croire que vous avez devant vous la réalité la plus complète.
Parmi les nombreux tableaux qui ont défilé devant nous, nous citerons notamment: Une place de Paris avec des tramways roulant au milieu d’une foule compacte de piétons attendant le moment favorable de saisir une place sur l’impériale; l’arrivée d’un tram ; la sortie d’un nombreux personnel d’une usine quelconque ; la décapitation d’une femme ; le jeu dit de saut de mulets par cinq ou six garçonnets, etc., etc., le tout rendu d’une façon parfaite et permettant au public de croire qu’il a devant lui des personnages agissant réellement.
La Cinématographie est un spectacle assez rare et qui mérite d’être connu du public Saint-Quentinois. Ajoutons que l'aimable impresario du Cinématographe donne des séances privées pour les familles.


Le Guetteur de Saint-Quentin et de l'Aisne, Saint-Quentin, 8 septembre 1896, p. 2.

Le style approximatif - les auditeurs doivent surtout avoir de bons yeux - et la description imprécise trahissent peut-être la difficulté du journaliste à décrire ce qu'il découvre, lui aussi sans doute, pour la première fois. Nous n'avons aucune information sur le type d'appareil, ni sur l'imprésario, mais en revanche quelques titres du programme sont indiqués. Malheureusement, la plupart d'entre eux n'offrent pas d'information suffisante qui permette de les identifier. Exception toutefois : La Décapitation d'une femme qui correspond, sans équivoque, au seul film sur ce thème en 1896, The Execution of Mary, Queen of Scots, une bande Edison. Trop peu d'indices pour savoir qui distribue cette vue en France. Un autre journal saint-quentinois offre pour sa part une description bien plus enlévée où le journaliste évoque avec un enthousiasme non dissimulé le plaisir qu'il a pris :

J’ai assisté hier soir à une séance du Cinématographe et vraiment j’en suis sorti émerveillé. Que c’est donc bizarre ! Mais il faut le voir pour s’en rendre compte ; les prospectus, le public vous disent qu’on y voit des photographies animées ; mais, moi, je dis qu’elles paraissent non seulement animées, mais, on croit véritablement les voir en chair et en os : on les voit marcher doucement ou vite, rire, tomber, pleurer, c’est surprenant ! Cette sortie de fabrique, n’est-ce pas la sortie réelle que nous voyons tous les jours à Saint-Quentin ? Ces jeunes filles, ces darnes, ces messieurs, jeunes et vieux, qui sortent les uns riants, gambadant, les autres plus sérieux marchant plus lentement ; et toutes ces vues sont de grandeur naturelle ! 
Du reste, tout y est magnifique : l’arrivée du train, par exemple, on se croirait à la gare de Saint-Quentin, on dirait que MM. les employés de la gare vont vous parler ... Et le salon de coiffure, on voit cette coquette qui se fait coiffer et qui trouve n’avoir jamais assez de poudre de riz pour ses belles joues ! 
Et le bal d‘enfant ! Vous voyez tous ces bambins, qui vous envoient des sourires et qui paraissent enchantés de danser la polka ; et le jeu de saut-de-mouton, n’est-il pas le portrait vivant de ces enfants, que nous voyons, tous les jours, sur les trottoirs, sautant les uns sur les autres, en se laissant tomber, de temps en temps, sur le nez ! Vraiment, tout cela est surprenant !
Mais, ce n’est pas tout : pendant tout le temps de la séance, on entend des morceaux de piano, brillamment et savamment exécutés par Mlle Jeanne Latoret, jeune artiste de 15 ans, déjà bien connue dans beaucoup de salons Saint-Quentinnois ; on dirait qu’elle ne voit aucune difficulté, rien ne l’arrête, elle est là au piano, ne paraissant pas plus embarrassée que si elle tournait une manivelle d’orgue de barbarie. Et quelle mémoire musicale a cette jeune personne ! Elle joue jusqu’à des morceaux d’opéra, en entier, par cœur, et avec une mesure et une expression au-dessus de tout éloge ! Allons ! Décidément, Saint-Quentin possède de véritables artistes.


Le Glaneur de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 10 septembre 1896.

Si l'on n'en apprend guère davantage sur le programme et l'origine des vues, l'article nous offre une description particulièrement rare sur l'accompagnement musical du cinématographe. Une jeune fille de quinze ans, qui sans le savoir invente en quelque sorte le cinéma sonore, va offrir aux images silencieuses, un écho musical. Par la suite, la presse ne va plus fournir que quelques encarts indiquant simplement les modalités des séances :

LE CINEMATOGRAPHE de la place de l’Hôtel-de-Ville (Ancienne maison du Crédit Lyonnais)
Séances tous les soirs à 8 heures
MATINÉE LE SAMEDI ET LE DIMANCHE A PARTIR DE 3 HEURES
PROJECTIONS PAR LA LUMIÈRE ÉLECTRIQUE
Dix superbes Tableaux
sujets de grandeur naturelle
Séances particulières sur demande
Piano tenu par Mlle Jeanne Latour.


Le Guetteur de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 2 octobre 1896, p. 2.

Le programme se compose de 10 vues, ce qui signifie qu'avec les changements de film, la séance doit durer environ 20 minutes. Au cours des jours suivants, nous n'aurons plus aucune autre information jusqu'au 28 octobre 1896, date de la dernière annonce, identique à celle du 2 octobre (Le Guetteur de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 28 octobre 1896, p. 2).

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