Marée montante sur brise-lame

0059
Ce photogramme et le film que l'on peut voir en cliquant sur l'image proviennent d'un fragment de vue animée conservé aux Archives Nationales du Brésil dont l'origine reste incertaine. Différentes hypothèses ont été émises dont celle d'une éventuelle appartenance au corpus "Méliès". Rien, à ce jour, ne permet de totalement confirmer l'une d'entres elles.

1

Marée montante sur brise-lame

 MEL 1898


Tide Rising Over the Breakwater

MEL 1905-A


Subida de la mar sobre rompeolas

MEL 1905-Es

2

1 Méliès 59. vitagraphe 1897-01 (349)
2 Georges Méliès  
3 automne 1896. 20 m/65 fr.
4 France. [Calvados].
 

3

       

D'*Ancoradouro de pescadores no baia de Guanabara à Marée montante sur brise-lame

D'*Ancoradouro de pescadores na baia de Guanabara à Marée montante sur brise-lame

Jean-Claude SEGUIN
Thierry LECOINTE

De nombreuses incertitudes pèsent sur celui qui est parfois considéré comme le premier film brésilien. Son existence nous est connue grâce à un brevet pour "sistema de fotografias movimentadas" déposé par José Roberto Cunha Salles, le 24 novembre 1897, auprès du Ministère de l'Agriculture (Privilégios Industriais) et conservé par les Archives Nationales de Rio de Janeiro. Jointes à ce brevet, on trouve 4 bandes positives (de 10 photogrammes chacune) et 4 bandes négatives (de 10 photogrammes chaque). Contrairement à ce qui est indiqué dans la notice de la Cinémathèque brésilienne, ce ne sont donc pas 24 photogrammes, mais 40+40 photogrammes qui sont annexés au brevet. Les 4 bandes de négatifs ont été tirées à partir des positifs (double trace de perforation) sur de la pellicule Kodak TX [5063 ?] (pellicule 35mm pour 24x36). En date du 13 décembre 1897, Esmeraldino Bandeira, très probablement un employé du Ministère de l'Agriculture, contôle le document, indique qu'il y a une pièce  jointe et le scelle.

salles jose 1897 brevet fragment BR RJANRIO PI 0 0 08663 d0001de0001.pdf"Aberto para exame prévio e encerrado. Ao Excelentíssimo
Senhor Doutor Esmeraldino Bandeira foi entregue uma
das vias do relatorio e 1 amostra.
Em 13-12-97."
Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas"
Source: Archives Nationales Brésiliennes.

Au moment de la pose des cachets, il n'y a qu'un seul document "1 amostra", sans aucun doute un positif. À une date ultérieure que l'on peut situer en 1970 ou au-delà, une main anonyme a ouvert le document, a procédé au tirage d'un contretype négatif dans le but probable d'en tirer un nouveau positif exploitable. C'est également à cette époque que l'historiographie brésilienne va commencer à attribuer à ce fragment le titre *Ancoradouro de pescadores na Baía de Guanabara

0059 01 guanabara
Brésil.-Rio de Janeiro-Entrée du Port et Baie de Guanabara
Edition de la Mission Brésilienne de Propagande-Paris 28, boul. des Italiens

Compte tenu de la personnalité interlope de José Roberto Cunha Salles, nombreuses sont les questions que soulève ce document : a-t-il vraiment pris ce bout de film avec un appareil de prise de vues de sa conception ? L'a-t-il fait avec un autre appareil ? A-t-il simplement récupéré un morceau d'une copie existante ? Qui a réalisé le contretype négatif ? Dans quel but ?

Ces nombreuses questions sans réponse conduisent à réfléchir sur différentes hypothèses qui visent davantage à les questionner sans prétendre offrir à ce jour une solution à cette énigme. 

L'élément filmique

Le fragment du film dont nous disposons fait apparaître des marques spécifiques sur lesquelles il convient de s'attarder.

1898 ancoradores de pescadores

1. Les photogrammes sont bord à bord, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de séparation entre deux photogrammes.

0059 01 bord a bord

2. Les coins des photogrammes sont à angle droit.

0059 02 angle droit

3. Il y a 4 perforations rectangulaires pour chaque photogramme.

4. On remarque la trace des marques de perforations de la matrice (ou négatif) qui déborde en éventail sur le photogramme.

0059 01 perforations 0059 type edison
Perforations et traces des perforations de la matrice (négatif)  Film Edison
Titre non identifié (c. 1896)

L'observation de l'élément filmique "brésilien" permet de dire que nous sommes en présence d'une bande de type "Edison" en particulier grâce aux perforations caractéristiques, aux photogrammes sans inter-image et aux angles droits. Dire "type Edison" ne signifie pas nécessairement dire "production Edison". En effet, le génie de Menlo Park va "imposer" un modèle repris ou imité par un nombre significatif d'éditeurs de vues animées de la fin du XIXe siècle et au-delà. Il faut également rappeler que les éditeurs peuvent proposer leur propre production avec des formats différents. Dans le cas qui nous occupe, il faut malgré tout préciser que les traces des perforations de la matrice (négatif) indiquent que cette dernière a été tournée avec un appareil de prise de vue à quatre perforations (type Edison).

La représentation

Le dénotation des éléments présents dans le photogramme permet d'identifier, d'une part, un bord de mer agitée dont témoignent les vagues et l'écume qui, par sa présence, indique l'intensité de la marée et, d'autre part, un alignement de poteaux caractéristiques des brise-lames primitifs comme ceux que l'on trouve encore à Saint-Malo.

0059 brise lames 01 0059 brise lames
Côte d'Emeraude.
2879. SAINT-MALO-Le Sillon un jour de Tempête. (décembre 1904)
Le Sillon (Brise-Lames). Saint-Malo [D.R.].

Ces ouvrages existent sur plusieurs côtes et l'on en trouve en particulier, mais non de façon exclusive, sur la façade Atlantique, la Manche, la mer Baltique... Toutefois, le brise-lame représenté sur le fragment de film ne ressemble pas vraiment à ceux que l'on trouve sur la Manche française.

En revanche, les photogrammes ne représentent pas des piquets d'amarrage ou un ponton comme le laisse penser le titre brésilien attribué au fragment *Ancoradouro de pescadores.

L'origine de la vue animée : les hypothèses brésiliennes

Les hypothèses brésiliennes ont longtemps été privilégiées ce qui a conduit, en particulier, à attribuer à la vue un titre (*Ancoradouro de pescadores na Baía de Guanabara) qui fait référence, sans fondement, à la géographie locale.

Victor di Maio (mai 1897)

L'Italien Victor di Maio, qui réside au Brésil depuis 1891 ou 1892, dispose d'un appareil de projection, le "Cinematographo Edison" qu'il présente, semble-t-il, dans plusieurs villes brésiliennes dont Petropolis située à peu de distance de Rio de Janeiro. Par chance, la presse locale, Gazeta de Petropolis, propose deux programmes complets.

di maio 1897 05 01 cinematographo edison  di maio 1897 05 06 cinematographo edison
 Gazeta de Petropolis, Petropolis, samedi 1er mai 1897, p. 4. Gazeta de Petropolis, Petropolis, jeudi 6 mai 1897, p. 4.​ 

En parcourant les titres des films, dont l'origine ici encore est incertaine, on identifie trois vues animées qui font référence de façon explicite au Brésil : *Uma artista trabalhando no trapezio do Polytheama, *Chegado do trem em Petropolis,  et *Ponto terminal da linha dos bonds de Botofogo, vendo-se os passageiros subir e descer. On peut remarquer que dans le programme du jeudi 6 mai, les deux mots "do Polytheama" ont été retirés du premier titre.

On ne peut éluder la question de l'origine de ces titres et de leur existence même. Les opérateurs des origines n'hésitent pas à les falsifier pour les faire correspondre à une réalité locale. Combien d'"arrivées de train" ont-elles été ainsi "relocalisées" ! Aussi une seule occurrence d'une bande cinématographique en un seul endroit ne permet pas à elle seule d'authentifier un film surtout s'il s'agit d'un documentaire, il faut au moins avoir une double source et si possible d'autres informations. Or, nulle part ailleurs, on ne retrouve ces films. En outre, Victor Di Maio ne semble disposer d'aucun appareil de prise de vues et on ne connaît aucun autre film qu'il aurait tourné au cours de son existence. Alors entre une scène d'une trapéziste qui pourrait avoir lieu n'importe où et deux arrivées de train avec des passagers qui montent et qui descendent... on a du mal à penser à autre chose qu'à une simple manipulation du style de celle de Charles Kalb à Valence. C'est sur ces bases, déjà extrêmement fragiles, que l'on a émis l'hypothèse fantaisiste d'un tournage d'*Ancoradouro de pescadores na Baía de Guanabara par Victor Di Maio...

Les frères Segreto et José Roberto Da Cunha Salles (août 1897)

À la fin du mois de juillet 1897, le curieux José Roberto Da Cunha Salles, juriste de formation, mais surtout bonimenteur, guérisseur, escroc..., s'associe aux frères Segreto, l'espace d'un mois, pour l'exploitation d'un "Cinematographo super Lumière" également nommé "vitoscopio" dans une salle connue sous le nom de "Paris no Rio". Il semble que l'appareil soit, en réalité, un vitascope Edison. On ne connaît que cinq titres du répertoire pour cette période :

Os quadros da dança Serpentina e o das melancias foram bisados.


Folha da Tarde, Rio de Janeiro, 31 de Julho de 1897.

et :

No salão de novidades Paris no Rio, onde funcciona o Animatographo Edison, inaguraram-se hontem os seguintes quadros: Os inglezes en luta de Brooks, uma scena do Tim tim por tim tim, representada no theatro de Lizboa e a prisão dos anarchistas em Paris.


Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, mercredi 11 août 1897, p. 2.

À l'exclusion des deux premiers titres (la  danse serpentine et les pastèques qui figurent dans le catalogue Edison, l'origine des trois autres reste incertaine, surtout dans le cas de Tim Tim por Tim Tim, un spectacle de variété qui se donne à Lisbonne et à Rio de Janeiro depuis 1892. Peut-on vraiment penser que Da Cunha Salles ou Segreto ont tourné des films en août 1897 ? Et avec quel appareil de prise de vues ? En effet, le vitascope n'est qu'un appareil de projection, et il n'est donc pas réversible comme l'est le Lumière. Ces pionniers, cédant à une manipulation fréquente à l'époque, n'ont-ils pas renommé ces vues animées pour stimuler l'intérêt des spectateurs ?

Les frères Segreto (septembre 1897-juillet 1898)

Dès lors que les deux associés se séparent, à la fin du mois d'août 1897, les frères Segreto continuent, seuls, l'exploitation de l'"animatographo super Lumière" avec le même appareil de projection selon toute vraisemblance. Le répertoire jusqu'à la fin de l'année est peu connu, à l'exception du programme publié le 22 décembre qui propose un choix important de vues animées, mais dont de nombreux titres sont absents de la plupart des catalogues des principaux éditeurs de l'époque :

São esta as vistas novas que o animatographo Super Lumière inaugura hoje:
1ª Parte-Dansa caracteristica de uma menina, em Barcelona. Passagem de artilheria na rua Humberto 1º, em Torim, Policia que recolhe ao quartel, em New York, Jogador de faca em Barcelona, Passeio na praça Colonna em dia de festa, em Roma, O maior hippopotamo amestrado. Ciumes de um marido. Jogo de marinheiros, em São Francisco da California. Bonds electricos, em Londres. Serpentina nocturna.
2ª PARTE-Dansa russa. Montanha russa, em Bordeus, Salão de barbeiro. Lavadeiras, em Madrid. Caça oas touros, em Sevilha. Opera de Napoleão. Baile fantastico por uma menina. Carga de cavallaria, em Milão. Entrada do Saboia no porto de Napoles. Danza de uma coquette franceza.
3ª PARTE-Dansa de meninos. Quéda de um passageiro ao tomar um bond. Brincadeira de crianças. Um elephante amestrado. Um professor em aula. Uma criança travessa. Briga de box. Uma famila feliz. Um banho de bote. Serpentina borboleta.
4ª PARTE-Dansa de um padre com duas cocottes. Uma parada militar em Nova York. Avenida em Londres. Dansa na sombra. Luta romana. Briga em familia. Cefeiros no campo. Naufragio na barra de Lisboa. Dois namorados. Serpentina francesa.
5ª PARTE-Dansa de uma menina. Praia de Salerno. Dansa da tarantella, em Reggio (Calabria). Saltimbanco. Praça de Carlos Felice, em Genova. Pescador solitario. Marido embriagado. Artista em trapezio.
A inauguração se realisará ás 7 horas, com assistencia da imprensa e de outros convidados.


Gazeta da Tarde, Rio de Janeiro, mercredi 22 décembre 1897, p. 2.

Quelle est donc la provenance de ces vues où sont représentés de nombreux pays, mais où n'apparaît aucune vue brésilienne ? On sait qu'Affonso Segreto voyage à plusieurs reprises en Europe et tout particulièrement en Italie et en Espagne d'où il ramène des bandes :

Chegou hoje da Italia, no vapor Washington, o Sr. Affonso Segreto que trouxe uma grande collecção de vistas novas tiradas em Napoles, Roma e Barcelona, vistas que serão expostas, esta semana, no animatographo Super Lumière.
Por mais estes attractivos, a novidades devia chamar-se agora Europa no Rio.


Gazeta da Tarde, Rio de Janeiro, mercredi 1er décembre 1897, p. 3.

Malgré ces intenses activités cinématographiques, à aucun moment, il n'est question de tournage effectué par l'un des frères Segreto, même si, à plusieurs reprises, ils ont eu l'intention d'acheter un appareil de prise de vues en Europe ou aux États-Unis.

Ce n'est finalement qu'en juin 1898 qu'Affonso Segreto, rentrant de Paris, tourne quelques vues animées dont les premières à l'entrée du port :

Chegou hontem de Pariz o Sr. Affonso Segreto, irmão do proprietario do salão Pariz no Rio, Sr. Gaetano Segreto.
O Sr. Affonso Segreto ha solo mezes que fôra buscar o apparelho photographico para preparo das vistas destinadas ao cinematographo e agora volta habilitado a montar aqui uma verdadeira novidade que é a exhibição de vistas movimentadas do Brasil. Já ao entrar á barra, photographou elle as fortalezas e navios de guerra.


Gazeta de Noticias, Rio de Janeiro, 20 juin 1898, p. 2.

Un autre article indique qu'il s'agirait d'un cinématographe Lumière :

Na rua Pedro Americo, canto da de Bento Lisboa, o Sr. Paschoal Segreto, um dos proprietarios do Animatographo, com a machina Lumieére [sic] apanhou uma vista de sessenta metros do prestito em movimento, afim de proximamente exhibil-a ao publico.


Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, jeudi 30 juin 1898, p. 1.

Rien ne permet de confirmer qu'il s'agisse effectivement d'un Lumière, mais l'idée de vouloir les projecter avec leur appareil du salon Paris no Rio n'est pas sans poser quelques problèmes. À peine les Segreto ont-ils tourné quelques vues qu'un incendie ravage le salon Paris no Rio. Ces vues sont-elles parties en fumée ? C'est probable car elle ne seront, semble-t-il, jamais présentées. S'il devait se confirmer que l'appareil de prise de vues est bien un Lumière, il faudrait donc écarter cette piste compte tenu des caractéristiques du fragment ici considéré. Il faudra attendre le mois de janvier 1899 pour qu'un nouveau local voit le jour.

José Roberto Da Cunha Salles

L'hypothèse "Cunha Salles" s'est principalement fondée sur une phrase figurant dans le brevet qu'il dépose le 27 novembre 1897 et qui a prêté à confusion :

Concluida assim a operação, que começa pela obtenção do negativo e termina pelo desenvolvimento do positivo, é essa fita collocada em um apparelho de reproducção, ou projecção, e ahi com o auxilio da lus dymnamica é a imagem obtida revelada com todos os seus movimentos naturaes, imagem, cujo especime pelo abaixo assignado copiada de um dos pontos da nossa bahia, a este acompanha em duplicata.


Brevet CUNHA SALLES

Joints au brevet, on trouve effectivement des fragments de négatif et positif d'*Ancoradouro de pescadores na Baía de Guanabara.

0059 negatif 01

0059 positif 01
DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897.

Ce brevet et ces photogrammes soulèvent pourtant quelques problèmes. Da Cunha Salles dit que les vues ont été prises "de um dos pontos da nossa bahia", mais les bouts de bande ne ressemblent à rien de ce qui pouvait exister à l'époque sur la baie de Guanabara. Le groupe de recherches "Mukashi no Anime" a compulsé nombre d'ouvrages et de collections dont celles de Marc Gerês sans parvenir à identifier le lieu où ont été pris ces fragments. À cela, il faut ajouter que le négatif comporte une perforation Edison, mais la présence de deux traces antérieures laisse à penser que nous sommes face à un retirage probablement postérieur, peut-être à partir du positif. L'existence de cette bande, en novembre 1897, pose en outre la question de sa réelle provenance. Quelques semaines plus tard José Roberto Da Cunha Salles annonce qu'il vient de recevoir deux appareils de la maison Lumière dont un cinématographe :

Cinematographo Lumière
AO PUBLICO
Tendo recibido dos srs. Lumière & Filhos, de Paris, o mais aperfeiçoado dos seus cinematographos, o seu ultimo e mais esmerado trabalho, e bem assim fitas com photographias movimentadas, representando o que ha de mais bello, de mais sublime e mais importante na vida social da Europa, acho-me agora empenhando toda a minha actividade e esforço para brevemente proporcionar ao respeitavel publico desta capital agradabillissimos momentos da mais recreativa distracção.
Este ultimo pujante trabalho de Lumière, que é hoje propriedade minha, é de uma perfeição tão delicada, de uma precisão tal, que as photographias que elle reproduz, revelam-se com taes nitidez e naturalidade, que os corps photographados, devido isto á nenhuma oscillação na projejecção, exhibem-se como se reaes fossem.
Esta machina, que é um verdadeiro primor de arte, é considerada em Paris a obra prima de Lumière.
A par desta noticia de interesse para todos, outra não menos importante, e que muito deve surprender a nossa sociedade e enchel-a de justa e notavel anciedade, á que, tendo eu recebido tambem com o cinematographo Lumière uma machina especialissima para tirar vistas com movimentos de quaddros da nossa vida social, já iniciei este importantissimo serviço, para em breve offerecer tambem á admiração do nosso publico photographias movimentadas de costumes nossos, como sejam:-Uma sahida do presidente da Republica com os seus ministros; uma recepção diplomatica no palacio do Catteteuma sessão no Supremo Tribunal Federal; uma parada do nosso glorioso exercitouma evolução da nossa invicta esquadra; uma sahida dos operarios dos arsenaes de marinha e guerra; um dia de festa na rua do Ouvidor; e muitos outros quadros, que muito deverão interessar a todas as classes da nossa sociedade.

Assim como a Europa faz-se exhibir por meio desse engenho dos apparelhos no continente americano, nada mais justo e até louvavel, que um filho do Brasil queira ter a satisfação de vêr egualmente reveladas com todas as suas bellezas nas terras de além-mar quadros da vida social da sua patria, motivo este que induzio-me a emprehender esse famoso trabalho, que muito me está desvanecendo!!


Jornal do Brasil, Rio de Janeiro, mardi 14 décembre 1897, p. 2.

Il pourrait s'agir du "Cinématographe Spécial pour projections", datant de 1897, et dont il existe une version A pour film perforation type Lumière et une version B pour film perforation type Edison. Dans sa déclaration, il fait également mention d'une "machine très spéciale pour prendre des vues en mouvements". S'agit-il du cinématographe Lumière, mais alors pourquoi avoir acheté par ailleurs le cinématographe pour projections ?S'agit-il peut-être de l'appareil pour lequel il vient de déposer le brevet du 27 novembre ? Il évoque ensuite quelques titres dont on a l'impression qu'il s'agit plutôt de vues à venir, données comme des exemples possibles, que des films qui existent réellement. D'ailleurs, José Roberto Da Cunha Salles a-t-il vraiment tourné ce fragment de pellicule ou bien l'a-t-il récupéré ici ou là ? Ce dont on est sûr, c'est qu'il ne peut s'agir d'un fragment de vues Lumière, ne serait-ce que par les caractéristiques des perforations sur le négatif, des inter-images et des angles arrondis.

En revanche, lorsqu'il présente, au théâtre Lucinda, en janvier 1898 une liste de vues animées, on n'y trouve que des vues du catalogue Lumière : Cortejo no casamento do principe de Napoles, Os soberanos da Russia passeiando com o presidento da Republica Franceza pelos campos Elyseos, A via-sacra e a entrada do Santo Sepulchro, O cortejo da corôa de Vienna d'Austria, A briga das mulheres portuguezas que enchem um barbado !, O viajante e os ladrões, O povo na praça da Opera em Pariz, Um episodio turco, A demolição de uma casa (Cidade do Rio, Rio de Janeiro, samedi 15 janvier 1898, p. 4). 

0342 01 0059 01
"Type Lumière"
Défilé de l'artillerie du district de Columbia
(nº 342). 1897.
 
 

Or, les appareils de prise de vue Lumière, qu'il soit en format "Lumière" (perforation ronde) ou en format "Edison" (perforation rectangulaire), présentent tous des caractéristiques techniques uniques, à savoir une fenêtre de projections présentant des angles arrondis et des photogrammes séparés par un inter-image. On peut donc être certain que le fragment conservé de la vues "brésilienne" ne correspond pas au type d'un appareil Lumière.

Les hypothèses "brésiliennes" restent ainsi très fragiles qu'il s'agisse de celle d'un tournage par Victor di Maio  ou une prise de vue par Cunha Salles. Dans le cas des frères Segreto, on sait qu'ils tournent plusieurs films en juin-août 1898 dans un format "Lumière" selon une information de la presse locale, cela les écarterait donc également si l'origine de l'appareil se confirmait totalement.

L'hypothèse Méliès : Marée montante sur brise-lame (1896)

Afin de poursuivre l'identification du fragment étudié, il faut dès lors s'orienter vers les grands éditeurs qui utilisent le format Edison qui ne sont pas très nombreux entre 1896 et 1898. Principalement, il s'agit d'Edison, Paul, Méliès, Pathé, Gaumont (format 35 mm)... et quelques autres de moindres importances. De fait, à partir de 1897, le modèle "Edison" à quatre perforations va se généraliser à l'ensemble de la production cinématographique. La consultation des différents catalogues connus - plusieurs centaines de titres - fait apparaître un nombre assez important de vues de bord de mer sont fort nombreuses. En parcourant le catalogue Edison (années 1896-1898), on trouve un certain nombre de titres qui évoquent des bords de mer et, surtout, des bords de plage et des baigneurs, surtout à l'Est du pays, mais aucun ne mentionne un quelconque brise-lame ou quelque chose qui pourrait s'y apparenter. Si l'on considère le répertoire Pathé (années 1896-1898), rares sont les vues maritimes à l'exception de titres épars comme La Mer sur les rochers dont le sujet n'évoque que des rochers. En ce qui concerne le catalogue Paul, compte tenu de sa provenance anglaise, on retrouve quelques vues en rapport avec la Manche, mais rien qui corresponde aux éléments suggérés par les photogrammes du fragment de film ici étudié.

En ce qui concerne le catalogue Méliès, les choses sont quelque peu différentes. On sait que Georges Méliès dispose d'une maison familiale à Villers-sur-Mer (Calvados).

villers sur mer heure du bain
B.F. Paris, Villers-sur-Mer. L'Heure du Bain. (1902).

Sur cette zone côtière, il va prendre lui-même plusieurs vues avec son premier appareil primitif en juillet 1896. Dans ces mémoires, il évoque les difficultés auxquelles il se heurte :

Méliès eut un jour le désir d’aller prendre sur place quelques vues maritimes, afin de corser son programme par des vues de plein air, ou de documentaires, comme on dit aujourd’hui. Et, bravement, il partit pour Trouville, puis pour le Havre, chargé comme un mulet. Ces deux journées de travail furent terribles. La tempête faisait rage, car Méliès avait choisi un mauvais temps pour obtenir de plus jolis effets. Son appareil ne pouvait contenir que 20 m de pellicule, et ne pouvait se décharger ni se recharger en plein air. Aussi dut-il se livrer toute la journée à une gymnastique sans précédent, démontant tout son matériel entre chaque prise, et transportant le tout chez un photographe pour y faire ses opérations. Il était seul et n’osait rien laisser sur place de crainte que quelqu’un vînt toucher son matériel et même… en emporter une partie. On peut se figurer la fatigue d’une telle opération, répétée vingt fois dans la journée, avec des kilomètres à parcourir sur des plages sablonneuses, dans lesquelles, ainsi chargé, on enfonçait jusqu’aux genoux. Mais Méliès, on s’en doute, avait le feu sacré. Il revint fourbu mais en rapportant triomphalement à Paris une quinzaine de vues qui produisirent sur les spectateurs un effet prodigieux. On n’avait pas encore vu cela ; aussi l’assaut des vagues furieuses sur les falaises de Sainte-Adresse, l’écume, le bouillonnage de l’eau, les gouttes d’eau projetées en l’air, les remous, les embruns qui voltigeaient, autant de choses banales aujourd’hui, fascinaient les spectateurs habitués à l’uniforme représentation de la mer, au théâtre, obtenue à l'aide de toiles peintes secouées par des gamins circulant à quatre pattes au-dessous d'elles. Ce qui enthousiasmait le public, c'était de voir, pour la première fois, une reproduction rigoureusement exacte de la nature. Ceux qui connaissaient bien la mer s'écrièrent : " Oh, ce que c'est bien cela !... " et ceux qui ne l'avaient jamais vue se figuraient y être pour de bon.
L'appareil n'étant muni d'aucun viseur, il fallait mettre au point comme en photographie, sur un fragment de pellicule dépolie, et le cadrage, toujours comme dans la photographie ordinaire, exigeait un voile noir pour l'opérateur, afin de n'être pas gêné par le jour. Au Havre, la violence du vent était telle que Méliès eut beau se cramponner à son appareil, il ne put empêcher son voile d'être arraché violemment et il le vit partir dans les airs comme un goéland, pour une destination inconnue. Il ne le revit jamais, bien entendu, et lui-même et son appareil furent culbutés dans le sable. Peu importait ! Que lui faisait, après tout, d'être transi de froid, mouillé jusqu'aux os et courbaturé par la fatigue ? Nous savons qu'il était soutenu par la foi... et ses vues étaient réussies ! Comment n'aurait-il pas été heureux comme un roi ?


Georges Méliès, " Mes mémoires " dans Maurice Bessy et Lo Duca, Georges Méliès mage, Paris, Prisma, 1945, p. 176-177.

Ce tournage au Havre, à Villers et à Trouville concerne en particulier les vues suivantes : Plage de Villers par gros tempsJetée et plage de Trouville (1re partie)Jetée et plage de Trouville (2e partie). Quelques numéros plus loin, nº 59, se trouve le titre Marée montante sur brise-lame qui réunit les éléments qui figurent sur les vues du fragment retrouvé au Brésil, puis au nº 63, Tempête sur la jetée du TréportTous ces titres - ce ne sont pas les seuls - montrent tout l'intérêt que Georges Méliès porte au bord de mer, mais également aux jetées et aux brise-lames. Si l'on se rapporte à Marée montante sur brise-lame, il y a bien une correspondance avec le fragment de photogrammes.

1898 ancoradores de pescadores

D'une part, on retrouve dans l'image une mer qui couvre une bonne partie des pieux et de l'écume en quantité, marque d'une marée élevée et sans doute montante. D'autre part, le brise-lame dont la position et la ligne de fuite indiquent que l'opérateur a une connaissance des cadrages classiques à la fin du XIXe siècle. On peut également remarquer que l'angle de prise de vue est une plongée. Reste une question concernant la place occupée par le cinématographiste. Si pour des raisons évidentes de stabilité, il ne peut se trouver les pieds dans l'eau, voire sur un bord de côte sablonneux, il faut qu'il puisse filmer depuis un lieu stable comme une promenade. D'autres éléments restent mystérieux : la prise de vue rapprochée est-elle due à la focale utilisée ou bien à la proximité de l'endroit de prise de vue ? Les pieux ont, en outre, des caractéristiques singulières qui ne les apparente guère aux nombreuses vues, passées ou actuelles, où l'on trouve ce type d'ouvrage.

En ce qui concerne les éléments filmiques, Georges Méliès a utilisé plusieurs formats, mais en 1896, les photogrammes sont bord-à-bord et les coins sont carrés. Plus tard, les formats changeront. 

0059 4 0194 0195 perforations
Salut malencontreux (nº 36). Printemps-été 1896.
Automaboulisme et Autorité (nº 194-195) 1899.

Un faisceau d'indices sérieux ne constitue pas pour autant une preuve, mais on peut raisonnablement penser que les quelques photogrammes du film conservé au Brésil pourraient correspondre à la vue de Méliès Marée montante sur brise-lame. Si l'hypothèse devait se confirmer, resterait à savoir où se trouve ce brise-lame, question pour l'heure sans réponse. Le tournage lui se situerait à l'automne 1896.

L'hypothèse "Méliès", qui reste encore fragile, pour pouvoir être crédible doit également prendre en compte la question de la diffusion des films du mage de Montreuil au Brésil. Une étude de celle-ci permet de dire que les premières vues de la Star-Film arrivent vers le mois de juin 1898. L'un des frères Segreto, Affonso, se consacre tout spécialement aux questions commerciales et, pour ce faire, il voyage à plusieurs reprises, entre janvier et juin 1898, en Europe et aux États-Unis. Son frère Luiz, de façon plus occasionnelle, le seconde dans ces affaires et rentre de Barcelone en mars. Ces activités intenses ont pour but principal d'acquérir de nouveaux appareils et de nouvelles vues afin d'alimenter le salon carioca et ceux que l'entreprise compte ouvrir à Campos et à São Paulo. Si le répertoire connue d'avant juin n'est constitué que de quelques films, dont quelques-uns provenant du catalogue Edison, un programme founi est alors publié par la presse et dans la liste de films, certains titres semblent bien appartenir au corpus Méliès : Desapparição de uma mulher (Escamotage d'une dame chez Robert-Houdin), O diabo em trabalho (¿Le manoir du Diable? ¿Le Cabinet de Méphistophélès?), No reino das fadas (¿?). D'autres titres figurent aux catalogues de plusieurs éditeurs dont la Star-Film ce qui rend impossible leur attribution (Os ultimo cartuchosTempestade no mar...) Cette esquisse de diffusion va s'intensifier en janvier 1899, dès la réouverture du salon Paris no Rio. La diffusion des films Méliès est ainsi attestée dès les années 1898-1899.

Bilan

L'examen des différentes hypothèses, pour l'heure non confirmées, dont "Edison", "Acre" ou "Paul" non examinées ici par manque d'informations, nous conduit simplement à constater qu'il existe une correspondance entre la nature physique du fragment conservé et le titre et le support filmique d'une des vues tournées par Georges Méliès. Cela reste donc l'hypothèse la moins improbable, mais nous nous garderons bien d'aller au-delà de cette constatation dans l'attente que de nouvelles découvertes permettent de prolonger la réflexion.

Sources

DA CUNHA SALLES José Roberto, Brevet pour "sistema de fotografias movimentadas", Rio de Janeiro, 27 novembre 1897 et transcription.

Remerciements

Nous remercions le groupe de recherches indépendant "Mukashi no Anime" pour les éléments de contextualisation sur les origines du nom, le brevet du 27 novembre et sa transcription ainsi que quelques autres informations transmises par mail lors d'échanges répétés.

Arquivo Nacional do Brasil

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