C'est encore sur cette petite terrasse que nous fîmes les premiers essais de parlant " chronophone " . Les chansons et la musique étaient enregistrées aux ateliers sur un manchon de cire. C'est là que je cinématographiai le directeur de l'Opéra Gaillard qui vint me voir avec la maîtresse de ballet et un groupe de danseuses à qui il donna lui-même une leçon de triple battement de pieds (je crois que c'est le terme). Il avait alors plus de soixante-dix ans.
Il était facile, sur ce manchon de cire, d'enregistrer. Cette facilité me valut un des moments les plus embarrrassants de ma vie.
Une fois par semaine, nous allions ma mère et moi, passer la soirée chez des amis du faubourg Saint-Germain, milieu très agréable mais très formaliste.
Sachant que nous faisions des enregistrements, ces amis m'avaient demandé d'apporter un appareil et quelques rouleaux, entre autres l'Ave Maria de Gounod.
La première partie fut sans histoires et l'Ave Maria se déroula dans le recueillement, avec tous les défauts de ces premiers essais. La fin arriva et j'allais retirer l'aiguille du dernier sillon ; quelqu'un m'interrompit disant " attendez, il y a encore quelque chose ". J'obéis malheureusement, et, dans le plus grand silence, une voix masculine s'éleva et proféra ces mots : " Oh ! le malotrus, il a du poil au c... " Un silence profond accueillit ces derniers mots et je me sentis pâlir puis rougir. Mais lorsque je relevai les yeux, les visages consternés de l'auditoire opérèrent sur moi une telle réaction que je fus prise d'un fou-rire irrépressible qui finit par gagner mon auditoire. Je me promis bien à l'avenir d'examiner les rouleaux avant de les produire en public.
Vous reconnaîtrez là je pense, l'esprit de l'ouvrier parisien...
Guy, 1976, 67-68.