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Henri JOLY
(Vioménil, 1866-Paris, 1945)
Henri Joly
Nouvel art cinématographique, nº 3 (2e série), juillet 1929, p. 55
© La Cinémathèque française
Jean-Claude SEGUIN
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Joseph Joly (Vioménil, 11/07/1832-)
- épouse (Vioménil, 23/02/1859) Henriette Pâquis (Vioménil, 20/12/1831-Vioménil, 04/10/1876). Descendance :
- Marie, Joseph, Henry Joly (Vioménil, 12/12/1859-Vioménil, 13/12/1959)
- Marie, Joséphine Joly (Vioménil, 14/08/1861-Vioménil, 14/08/1861)
- Marie, Eugénie Joly (Vioménil, 17/12/1863-Cosne, 07/12/1945)
- Marie, Joseph, Henri Joly (Vioménil, 02/04/1866-Paris 20e, 09/12/1945)
- épouse (Decazeville, 11/10/1893. Divorce: 22/07/1914) Jeanne, Dorothée Labarthe (Aurillac, 16/11/1872-). Descendance :
- René, Alfred Joly (Vincennes, 04/12/1896-[mort à la guerre])
- épouse (Paris 20e, 04/12/1923) Jeanne, Victoria, Rose, Alexandrine Delalonde (Villers Bocage, 04/12/1881-Issy-les-Moulineaux, 11/08/1969).
- épouse (Decazeville, 11/10/1893. Divorce: 22/07/1914) Jeanne, Dorothée Labarthe (Aurillac, 16/11/1872-). Descendance :
- Marie, Joseph, Alfred Joly (Vioménil, 05/04/1871-) épouse (Cosne, 07/08/1900) Louise, Anna, Jeanne Desplaces (Paris, 22/08/1877-)
- épouse (Vioménil, 03/01/1877) Marie, Eugénie Jacquerez (Vioménil, 22/07/1844-). Descendance :
- Jeanne Joly (Vioménil, 04/09/1882-) épouse (Châtillon-sur-Seine, 05/02/1901) Louis Charles Lebrun (-30/05/1961).
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Les origines (1866-1894)
Fils d'un manœuvre (puis facteur de dentelles) et d'une dentellière, Henri Joly va à l'école primaire de Vioménil et obtient son certificat d'études. Après la mort de sa mère et du remariage de son père (1877), sa famille quitte Vioménil pour Châtillon-sur-Seine (recensement 1881) et habite au 24, rue des ponts. Joseph s'installe comme négociant. La bibliothèque publique de la ville est la principale distraction du jeune Henri Joly. Ce dernier n'habite plus avec ses parents dès 1881. Avant 1886, il est installé à Bourges où il exerce la profession d'employé de commerce. Appelé sous les drapeaux, il rejoint, le 5 janvier 1888, le 4e régiment d'infanterie de marine. Il va suivre le 71e cours de l'école de gymnastique et d'escrime de Joinville-le-Pont. Il passe dans la réserve de l'armée active le 6 février 1891. Après son service, Henri Joly s'installe à Decazeville où il réside à partir du 21 juin 1893 (rue Cayrade chez Monsieur Moulinous) et où il tient un bazar et se marie, en 1893, avec Jeanne, Dorothée Labarthe. L'année suivante, le couple s'installe à Paris.
La collaboration avec Charles Pathé (1895)
Henri Joly, qui ne semble guère s'être intéressé au préalable à la photographie fixe ou animée, arrive dans la capitale au moment où le kinétoscope Edison est visible par tous les Parisiens. Un premier appareil présente ses bandes dans la salle des Dépêches du Petit Parisien depuis le 16 juillet 1894. Quelques semaines plus tard, en octobre, les frères Werner ouvrent un kinetoscope parlor au 20 boulevard Poissonnière. C'est sans doute alors qu'Henri Joly comprend tout l'intérêt économique que constitue la nouvelle invention :
Au temps où le Kinétoscope d'Edison "triomphait" en Amérique, en Angleterre et bientôt en France [...], M. Henri Joly était établi commerçant au Perreux, près de Paris. Il s'adonnait à la photographie d'amateur. Les émulsions d'alors étaient loin d'être aussi parfaites que celles d'aujourd'hui et les "tours de main" de l'opérateur avaient une très grande part dans la réussite. M. Joly, ayant lu des articles de revues techniques et scientifiques consacrés à l'appareil d'Edison, se rendit en curieux au magasin de Ch. Pathé...
MICHAUT, 1936: 30.
Charles Pathé, dont l'activité est concentrée sur le phonographe, s'installe, à fin de l'année 1894, au 72 cours de Vincennes. Quelque temps après, il va diversifier ses activités et vendre des contrefaçons de kinetoscopes fabriqués par le Britannique Robert William Paul. Nous sommes en mars 1895 et voici comment Charles Pathé évoque ce moment :
Entre temps, je vendais aussi quelques " kinetoscopes " Edison, que je me procurais à Londres.
[...]
... le principe même du cinéma (photographie et reproduction du mouvement) était réalisé par le kinétoscope Edison, que j'ai vendu bien avant que le cinéma Lumière eût fait son apparition.
Il serait facile d'en établir la preuve par la date des journaux dans lesquels je faisais des annonces pour la vente des phonographes et des kinétoscopes Edison, annonces qui m'amenèrent, entre autres clients, celui qui devint mon premier associé, M. Joly.
C'est à lui que revient le mérite indiscutable - je le dis de suite - d'avoir fait, le premier des films français.
Il venait, sur la foi des annonces, acheter un phonographe et un kinétoscope, qu'il se proposait d'exploiter dans les foires de province.
Le prix très élevé que je lui demandais pour les films nécessaires au fonctionnement du kinétoscope le faisait hésiter ; et comme je lui expliquais que ces bandes de photographies étaient très chères parce que extrêmement difficiles à établir et qu'elles constituaient une sorte de monopole au profit d'Edison, il me répondit qu'il était bien certain de résoudre le problème de cette fabrication si je consentais à l'aider pécuniairement.
Son attitude - différente de celle des forains que je recevais ordinairement - sa conversation, sa physionomie de chercheur firent que je donnai quelque attention à ses propositions. Je le retins à déjeuner pour l'écouter plus longuement.
Il m'expliqua qu'il venait de se marier et qu'il était à la recherche d'un emploi.
L'impression qu'il me laissa fut favorable. Ses connaissances en électricité et en photographie étaient appréciables ; en tout cas, très supérieures aux miennes, qui étaient nulles.
Le capital de 4,000 francs, qu'il estimait suffisant pour établir un modèle d'appareil de prise de vues cinégraphiques, n'étant pas au-dessus de mes ressources, j'acceptai son offre d'association, en signant le 13 août 1895 un acte sous seing privé par lequel je m'engageai à lui fournir les fonds nécessaires à l'établissement des dessins et à la fabrication d'un appareil prise de vues de son invention.
PATHÉ, 1926: 73-74.
Henri Joly, pour sa part, dans les souvenirs recueillis par Maurice Noverre, offre une version très semblable de cette rencontre exceptionnelle avec Charles Pathé, qui faut situer, très probablement entre entre mars - 1re annonce de vente du kinetoscope - et juillet 1895 :
Le commerçant en chambre montra à son client éventuel des " Kinés " d'origine anglaise, contrefaçon très soignée et " bon marché " des " vrais Edison " qui " coûtaient les yeux de la tête "... Malheureusement, le constructeur anglais ne vendait pas de films et la maison d'Edison, livrant seulement trois films par instrument, paralysait la concurrence (M. Pathé manquait de films).
Joly s'étant écrié : —. Pourquoi ne fait-on pas de films ?
Son interlocuteur le regarda, stupéfait : — "Personne ne sait comment faire "... " Marey consulté n'en sait pas davantage ! " [sic]
Le visiteur demanda alors " à voir ce film si difficile à se procurer " et, l'ayant examiné attentivement, se rendit compte que ce n'était qu'une bande pelliculaire sensibilisée, aux images chronophotographiques obtenues par la méthode de Marey (dont il avait entendu parler). Il déclara donc qu'il ne voyait aucune difficulté spéciale à en obtenir puisqu'on trouvait du film vierge dans le commerce et conclut que lui, Joly, " se sentait capable d'entreprendre cette fabrication ".
Le marchand, étonné, " effrayé ", ahuri, " sursauta "... puis se ravisant, engagea de façon pressante M. Joly à construire l'appareil au plus vite.
— Je crains, lui répondit tristement son " client ", que mes faibles capitaux (3.000 francs) ne suffisent pas à tout !
— Soyez tranquille ! Si vous arrivez à un résultat, je vous AIDERAI... répartit M. Charles Pathé.
L'acte sous seing privé du 13 août officialise ainsi la collaboration entre les deux hommes. Quelques semaines plus tard, Henri Joly dépose un brevet (nº 249 875 du 26 août 1895) pour un "nouvel appareil chronophotographique". C'est probablement dans les semaines qui suivent que Joly et son épouse s'installe chez Charles Pathé :
Entre temps, M. Joly avait imaginé de construire un kinétoscope à plusieurs oculaires, pour lequel il prit un brevet et que nous dénommâmes photozotrope.
Pour aller plus vite, j'avais offert à M. Joly - qui avait accepté - de prendre pension chez moi avec sa femme, fort intelligente d'ailleurs, et qui le secondait beaucoup.
Ch. Pathé, Souvenirs et Conseils d'un parvenu, Paris, 1926, p. 76.
Dans la mesure où le premier appareil construit par Henri Joly a vocation à nourrir le kinétoscope en nouveaux films, l'inventeur va donc tourner quelques vues animées, sans doute entre septembre et décembre 1895. C'est encore Charles Pathé qui nous informe à ce sujet :
M. Joly avait fait quelques films qui, tout en coûtant très cher, n'étaient pas utilisables au sens strict du mot pour être projetés dans un cinématographe, les perforations servant à entraîner la bande étant irrégulières.
Ce défaut, à moins de projeter le film, n'était apparent que pour les initiés, très rares à l'époque.
Ch. Pathé, Souvenirs et Conseils d'un parvenu, Paris, 1926, p. 78.
Grâce au témoignage recueilli par Pierre Michaut, on connaît un peu mieux le processus de création de l'appareil de prise de vues :
En peu de temps, il construisit un appareil de prises de vues. "Les problèmes de mécanique n'ont jamais présenté pour moi, nous dit-il, de bien grandes difficultés, et je n'attache que peu de prix à leur solution."
Dans son premier appareil, un cadre mobile escamotait l'image impressionnée en une boucle que le tambour inférieur résorbait. Il acheta la pellicule à son fournisseur habituel: la Maison Kodak; le film était au format et à la longueur usuels; il devait donc la découper en bandes de 35 mm. (qui était déjà le format choisi et fixé par Edison) en perforer les bords et, au moyen de collures y composer des films de la longueur requise; soit 16 mètres. L'appareil était enfermé dans une boîte étanche à la lumière ; et ses premières de vues montrèrent l'éclosion du printemps de 1895. Dès ce moment le système était réversible ; pour vérifier ses films avant de les livrer à M. Ch. Pathé, M. Joly les visionnait sur un petit écran au moyen d'un petite lampe à incandescence : moyen plus économique que l'achat d'un Kinétoscope, dont le prix était alors de 2.500 francs.
M. Joly ne tire par vanité de ce premier appareil cinématographique sorti de ses mains [...]
M. Joly fut, durant plusieurs mois, associé à M. Ch. Pathé, qui entreprit avec lui de développer la production de films. [...] Leur association toutefois fut brève et elle apporta à M. Joly une sensible déception.
MICHAUT, 1936: 30-31.
On lui attribue généralement la vue Le Bain d'une mondaine, qui semble figurer dans les premiers films Pathé sous le titre Une femme au bain. En outre, Henri Joly se lance dans une autre réalisation, le " Photo-Zootrope à un ou plusieurs oculaires ", déjà annoncé dès le 13 octobre dans L'Industriel forain, dont il dépose le brevet (nº 251 549, 8 novembre 1895). Afin de seconder Joly, Charles Pathé engage l'un de ses cousins - ou amis - du nom de Berson.
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"Nouvel appareil chronophotographique" |
Photo-zootrope (4 oculaires) |
La collaboration entre les deux hommes commence à se dégrader dans les dernières semaines de 1895. D'une part, Charles Pathé fait ses comptes et considère que les frais engagés pour la réalisation des films que tourne Henri Joly sont trop élevés d'autant plus que les vues animées ne sont pas vendables : "... les travaux de M. Joly avaient mis ma caisse à plat. " . D'autre part, toujours selon Charles Pathé, Henri Joly était devenu ombrageux :
Sous l'influence d'un travail excessif - qui se poursuivait une partie de la nuit - mon associé devint très nerveux. Outre qu'il avait naturellement, comme tous les inventeurs, un esprit tourmenté et quelque peu soupçonneux, son impatience d'arriver plus rapidement qu'il n'était possible au résultat que nous désirions le rendait très excitable.
Sa jeune femme, qu'il aimait beaucoup cependant, avait souvent à supporter des tempêtes qui, tout en nous chagrinant ma femme et moi, n'étaient pas sans m'inquiéter sur la suite de notre entreprise, laquelle absorbait finalement plus que mon commerce de phonographes ne me rapportait.
[...]
Et j'en reviens à M. Joly, qui sortait chaque après-midi depuis quelques jours et rentrait dans un état de fébrilité de plus en plus grand, dont je cherchais à deviner le motif.
J'appris qu'il était en pourparlers avec un M. Debets, et qu'il allait passer un contrat avec ce dernier pour la fabrication des appareils cinématographiques, que la maison Lumière commençait à faire connaître théoriquement au grand public par des articles publiés dans le journal La Nature.
Sur mes questions précises, il avoua le fait, en me demandant de me confiner dans la fabrication des photozootropes. Il me donna comme raison de sa conduite que mes ressources trop restreintes ne lui permettaient pas d'entreprendre sur une échelle convenable la fabrication des films et appareils à projection analogues à ceux que la maison Lumière décrivait et qu'ellaeallait exploiter prochainement.
Je tâchai de le calmer en lui demandant quelques jours de réflexion, au cours desquels je lui exposai l'embarras dans lequel il me mettait.
[...]
Ce fut lui, finalement, qui m'apprit qu'il avait définitivement signé avec M. Debets un engagement relatif aux appareils cinématographiques et aux films, à l'exclusion du photozotrope et des films spéciaux imprimés latéralement que cet appareil nécessitait.
Il me renouvela l'offre qu'il m'avait faite de me continuer son concours pour installer la fabrication de ces films, pour photozotrope, à condition, prétention tout à fait injustifiée, que je m'engage à ne jamais faire de films ou d'appareils cinématographiques.
PATHÉ, 1926 :77-78-79.
Les relations entre Henri Joly et Charles Pathé se tendent encore - nous sommes très probablement en novembre ou décembre 1895 - et la découverte par ce dernier, fin décembre1895 ou début janvier 1896, des premières séances publiques du cinématographe Lumière le conduit à penser que l'avenir n'est plus dans le kinétoscope - ou sa variante le photozotrope -, mais bien dans la projection de vues animées. De façon assez cavalière, ainsi qu'il l'explique lui-même, il se débarrasse d'Henri Joly :
Et, après avoir mis en sûreté le seul appareil prise de vue construit sur les indications de M. Joly - appareil qui m'avait coûté très cher - je signifiai à mon associé dès le lendemain matin qu'il eût à quitter les lieux immédiatement.
PATHÉ, 1926 : 81.
Pour Maurice Noverre, défenseur d'Henri Joly, - qui ne conteste pas les détails donnés par Charles Pathé - tout n'a été qu'une stratégie quelque peu machiavélique pour se débarrasser de Joly et conserver ses inventions. Il résume ainsi le point de vue d'Henri Joly :
M. Henri Joly, sans le moindre avertissement ou la moindre discussion préalable, s'est vu interdire brusquement, un beau matin, l'entrée de l'atelier dont le loyer était au nom de M. Charles PATHÉ, qui allait rompre ainsi de la manière la plus brutale et la plus injuste une association dont il aura été, aux yeux de la Vérité comme aux yeux de l'Histoire, le SEUL BÉNÉFICIAIRE.
On l'a déjà compris, M. Charles Pathé, son initiation cinématographique terminée, s'est débarrassé, d'un instant à l'autre, de l'artisan de son immense fortune.
Aucune négation, aucun démenti, aucune indignation véhémente ne sont permis à l'ancien associé de M. Henri Joly qui, à la suite du fait ci-dessus relaté, a intenté un procès à M. Charles Pathé pour " rupture abusive de contrat ".
Devant l'arbitre, M. Pathé dut reconnaître qu'il détenait indûment le deuxième modèle de l'appareil mouvementé de Joly et s'engager à le rendre... (ce qu'il ne fit jamais).
"La Vérité sur l'Initiation Cinématographique de M. Charles Pathé", Le Nouvel Art cinématographique, nº 5, 2e série, janvier 1930, p. 68.
Expulsé de chez Charles Pathé, Henri Joly ne tarde pas à retrouver un logement, à Vincennes même, au 34, rue de Bagnolet où il vit avec sa femme.
La collaboration avec Georges De Bedts (1895)
Alors qu'Henri Joly travaille toujours pour Charles Pathé, Georges De Bedts, qui vient d'échouer dans un rapprochement avec Georges Demenÿ, pense qu'Henri Joly pourrait faire l'affaire. Des contacts ont lieu, mais ils ne passent pas inaperçu et Charles Pathé s'en rend compte :
Je remarquai sur ces entrefaites que, depuis quelques jours, M. Joly sortait sans raison toutes les après-midi. Chaque fois, il revenait dans un état de fébrilité croissante. Que pouvaient bien cacher ces mystérieuses allées et venues ? J'avais beau chercher, je n'arrivais pas à le découvrir.
Au bout d'un certain temps on me livra le clef de l'énigme. Mon associé était entré en pourparlers avec un certain M. Debets. Il s'engageait, me disait-on, à lui fabriquer des appareils cinématographiques inspirés par les articles que la Maison Lumière commençait à révéler au grand public dans la revue La Nature.
PATHÉ, 1940: 34.
En réalité, Henri Joly ne fait pas trop confiance à Charles Pathé et rompt de fait le sous-seing privé qui le lie à l'industriel. Peu après, il reconnaît que des pourparlers existent bien avec De Bedts :
À la fin, M. Joly me révéla qu'il avait définitivement signé avec M. Debets un engagement relatif aux appareils cinématographiques et aux films à l'exclusion du photozootrope et des films spéciaux imprimés latéralement que cet appareil nécessitait.
PATHÉ, 1940: 35.
Les négociations sont suffisamment avancées puisque Henri Joly monte un laboratoire de prises de vues :
Il poursuivit pourtant son chemin de précurseur en montant, en 1895, un laboratoire de prises de vues pour M. de Beydts [sic], photographe émérite et ancien directeur de Kodak.
MICHAUT, 1936: 31.
Cette collaboration est probablement de courte durée et l'on ignore si des tournages sont alors effectués. Finalement, en janvier 1896, De Bedts dépose un brevet pour un propre appareil cinématographique.
La collaboration avec Ernest Normandin (1896-1900)
Les premiers mois de l'année sont assez compliqués pour Henri Joly. La rupture consommée avec Charles Pathé, l'échec de l'alliance avec Georges De Bedts et sa situation personnelle assez précaire plonge le pionnier dans un certain désarroi, au moment où les frères Lumière occupent amplement le terrain. Si l'intelligence technologique d'Henri Joly constitue, en soi, un bel atout, il ne dispose pas des fonds nécessaires pour se lancer seul dans l'entreprise du cinématographe. C'est sans doute ce désarroi qui le conduit à prendre contact avec une autre figure marquante du moment, à savoir Léon Gaumont qui, lui, a réussi sa collaboration avec Georges Demenÿ... mais non pas pour chercher à s'associer à lui, mais pour engager une guerre picrocoline qui va l'occuper tout au long de l'année 1896. Dès le mois de février, il envoie, par l'intermédiaire des ingénieurs-conseils Charles Thirion et Joseph Bonnet, un curieux courrier où il menace Gaumont pour contrefaçon :
Paris, le 27 février 1896
Monsieur GAUMONT
Directeur du COMPTOIR GÉNÉRAL DE PHOTOGRAPHIE
Notre client, M. Joly, qui, le 26 août 1895, a pris en France un brevet d'invention pour un appareil chronophotograpique, a appris que vous fabriquiez des appareils semblables à celui qui fait l'objet de ce brevet.
M. Joly sait que son appareil constitue un perfectionnement de celui que M. Demenÿ a fait breveter, et qu'en conséquence il n'a pas le droit de l'exploiter, sous peine d'être exposé à une action en contrefaçon que pourrait lui intenter M. Demený en se basant sur les dispositions de l'article 19 de la loi du 5 juillet 1844.
Mais en vertu des termes de ce même article, M. Joly entend vous empêcher de fabriquer son appareil que vous savez être breveté.
Mr Joly espère que cet avertissement sera suffisant pour que vous cessiez votre fabrication.
Dans le cas contraire, il se verrait obligé de s'adresser aux Tribunaux pour vous obliger à respecter les droits que lui confère son brevet.
Nous espérons que vous voudrez bien nous faire connaître la décision que vous aurez prise afin que nous puissions la transmettre à Mr. Joly.
Veuillez agréer, Monsieur, nos civilités empressées
Ch. Thirion & J. Bonnet.
CORCY, 1998: 429.
Lettre sibylline où le prétexte - les mécanismes brevetés - vise à freiner le développement des activités cinématographiques de Léon Gaumont... à une époque où tout le monde copie tout le monde, il faut bien admettre que la démarche d'Henri Joly a de quoi faire sourire. Mais l'affaire ne va pas s'arrêter là...
Pour autant, Henri Joly ne chôme pas et il dépose de nouveaux brevets : un " appareil chronophotographique pouvant également servir à la projection des positifs. " (nº 254 836, 17 mars 1896), un " dispositif permettant d'éviter le scintillement dans la projection des vues obtenues par la chronophotographie " (nº 256 388, 15 mai 1896), un " nouveau procédé de préparation des pellicules à images positives employées dans les appareils de projection reproduisant le mouvement en vue de donner du relief aux images projetées (nº 256 389, 15 mai 1896). C'est par l'intermédiaire de Joseph Bonnet qu'Ernest Normandin, comme il le raconte lui-même, fait la rencontre d'Henri Joly :
Me rendant compte que je ne progressais pas suffisamment, je sautai sur l'affaire du cinématographe Joly quand Bonnet, agent de brevets pour qui j'espérais quelquefois me le présenter [sic].
Ernest Normandin, Mémoires, manuscrit, c. 1933, p. 7-8, collection particulière.
Normandin, qui n'est pas très heureux en affaire, a mal administré une usine pour produire de l'électricité, et se tourne vers le cinématographe dans l'espoir de gagner de l'argent avec la nouvelle invention. S'il n'a pas les connaissances technologiques d'Henri Joly, il domine en revanche les questions d'énergie et d'alimentation des appareils grâce à son expérience à la tête de son usine. C'est, probablement, à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet que l'accord est mis en place. Il concerne trois hommes clés : Henri Joly, Ernest Normandin et Eugène Pirou. Si le premier est l'inventeur du cinématographe qui porte son nom, le deuxième apporte les moyens nécessaires à sa commercialisation et le dernier devient le cinématographiste. Les échanges avec Gaston Prinsac permettent de savoir comment s'organise la commercialisation des appareils.
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Vincennes, le 25 juillet 1896 |
Henri Joly, Lettre à Gaston Prinsac, Vincennes, 25 juillet 1896 © Collection particulière |
Grâce à un autre courrier d'Henri Joly, nous disposons de nouvelles informations sur différents aspects de son commerce.
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Vincennes, le 11 août 1896 Monsieur, Nous avons trois modèles d'appareils : 1º Cinématographe nº 1, pouvant projeter des bandes de 60 m. de long et contenant 3000 images. La projection peut durer trois à trois minutes et demie sans interruption, et l'image sur l'écran est de 4 mètres carrés et plus. Il est vendu complet avec les accessoires suivants : 1 Régulateur électrique; 10 Bandes cinématographiques (sujets variés et au choix) ; 1 Tableau de distribution électrique comprenant : Interruption, coupe, circuit, Rhéostat, ampéremètre, etc. 1 Ecran de 4 mètres carrés et 1 cuve à alun. PRIX COMPLET trois mille huit cents francs Les bandes ont 20 mètres de long ; les plus longues se vendent à part. NOTA. -- Nous remplaçons (à prix égal) le matériel électrique par un matériel à lumière oxyéthérique permettant de faire soi-même son oxygène, ce qui est très pratique surtout pour les voyages. De plus pour les clients nous demandant ce genre d'éclairage, nous donnons des vues plus tendres et l'on obtient le même résultat qu'à la lumière électrique. 2° Cinématographe nº 2, plus grand, un peu plus compliqué, mais pouvant projeter des bandes de 150 mètres de longueur et destinées à s'adapter avec phonographe. PRIX COMPLET avec tous les accessoires, comme ci-dessus : sept mille francs. APPAREIL n° 0, Format réduit, prix comp. dix huit cents francs. On peut gagner beaucoup d'argent avec cet appareil, car si l'on ne peut obtenir plus de 40 à 60 cm. d'agrandissement sur l'écran,l'effet est tout aussi joli, tout aussi saisissant. Avec cet appareil nous donnons tous les accessoires pour marcher : lampes, lanternes et 5 bandes de 9 à 12 m. de long,mais par un procédé particulier chaque scène dure encore très longtemps. Nous faisons une réduction de 40 % sur ces prix, mais dans ce cas nous demandons 33 % de la recette brute, un de nos employés est chargé de contrôler et doit être payé par vous ; ces dernières conditions ne s'appliquent pas au n° 0. Le prix de location de nos appareils n° 1 et 2 est de cinquante francs par jour pour un minimum de 20 jours (non compris les bandes). On peut également s'adresser directement à la maison PIROU pour les bandes de rechange ou supplémentaires.Tous les jours les plus jolies femmes, les plus jolies actrices posent devant nos appareils, et nos scènes ne sont pas à comparer avec ce qui s'est fait jusqu'ici. Voua pouvez vous rendre compte du fonctionnement de nos appareils en venant à Paris. Dans l'attente de vous lire, recevez, Monsieur, mes sincères salutations. H. JOLY |
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Henri Joly, Lettre à Gaston Prinsac, Vincennes, 11 août 1896 © Collection particulière |
Grâce à ce courrier - dont on imagine qu'il s'agit d'une lettre-type où les prix sont d'ailleurs indiqués de façon manuscrite pour pouvoir les adapter aux différentes situations - nous connaissons l'essentiel du fonctionnement du système Joly-Normandin-Pirou.
1. Tout d'abord, trois appareils qui s'adaptent aux différents besoins: le nº 1 pour des projections standarts (60 m.), le nº 2 pour des films plus longs (150 m) et le nº 0 moins puissant, mais plus maniable.
2. Un double système : vente (pour les trois modèles) ou location (pour les nº 1 et nº 2) sous certaines conditions.
3. Les films s'adaptent au système d'alimentation : électricité ou lumière oxyéthérique.
4. L'accent est clairement mis sur les vues légères dont Eugène Pirou assure la production.
Alors que les affaires semblent fonctionner convenablement, Henri Joly n'a pas oublié le différend qui l'oppose à Léon Gaumont. Grâce à une lettre transmise par ce dernier à Georges Demenÿ, nous savons que Joly est sur le pied de guerre :
24 août 1896
Monsieur Demenÿ
3, rue de l'Arc de Triomphe
Paris
Nous venons de recevoir la visite de clients tout disposés à acheter un de vos appareils chronophotographiques, mais ils nous demandent de leur garantir que cet appareil n'est exposé à aucune poursuite pour contrefaçon.
Ces clients ont été pour acheter un appareil Joly, et ce constructeur leur a fait remarquer qu'il allait nous intenter un procès parce que nous employons un système de dévidoir donnant naissance à des boucles qui se trouvent entraînés au fur et à mesure par la came.
Dans ces conditions, nous trouvons qu'il est indisensable que vous vouliez bien nous donner par lettre votre avis sur cette observation, car il importe pour notre intérêt commun que nous fassions cesser une aussi désagréable concurrence, si je le crois elle est franchement déloyale.
Veuillez donc nous préciser la réponse que nous devons faire à l'objection de la formation de la boucle par un rouleau dévidoir.
Dans l'attente de vous lire, agréez, Monsieur, nos bien sincères salutations.
L. Gaumont & Cie.
Lettre reproduite dans Marie-Sophie Corcy, Jacques Malthête, Laurent Mannoni, Jean-Jacques Meusy, Les Premières Années de la société L. Gaumont et Cie, Paris, AFRHC/BIFI/Gaumont, 1998, p. 144-145
En parallèle, on commence à trouver, dans L'Industriel forain des annonces pour le "Cinématographe Perfectionné Système Joly".
L'Industriel forain, nº 712, 20 septembre 1896, p. 4.
Déjà à cette époque, il est proche de Grégoire Bagrachow comme en témoignage l'acte de naissance de son fils René Alfred Joly (04/12/1896) où il figure comme témoin (âgé de trente ans, photographe, domicilié à Paris, passage Deschamps 10). Henri Joly réside à Vincennes (34 rue de Bagnolet) à partir du 6 février 1897.
L'Industriel forain , nº 401, 11 avril 1897, p. 4. (déjà publié le 4 avril)
L'année 1897 est marquée par l'incendie du Bazar de la Charité (4 mai) dans lequel est directement impliqué le cinématographe Joly-Normandin.
En janvier 1900, Henri Joly dépose un nouveau brevet pour un "mouvement synchronique de rotation de deux mobiles applicable aux appareils cinématographiques et phonographiques combinés." Quelques jours plus tard, Henri Joly fonde la Société Anonyme du Biophonographe (Système Joly). La société, sises 9 rue Soufflot dispose d'un capital de 30.000 francs.
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Marque "Biophonographe". 5 mars 1900. Photographe et Lithographie. 1895-1901. INPI. |
Société du Biophonographe (Système Joly) Action. 20 décembre 1900 |
Une assemblée générale extraordinaire est convoquée le 10 mai 1900. Elle fait état d'une production d'appareils cinématographiques effectives quoique retardée. Une augmentation de capital (120.000 fr.) est décidée lors d'une nouvelle assemblée :
Société du Biophonographe.-Capital porté à 120,000 fr.; Modification de l'article 22. (Assemblée du 23 octobre 1900).
Journal spécial des sociétés françaises par actions, 25 novembre 1900, p. 8.
Le Biophonographe (c.1900) [D.R.]
La société du Biophonographe n'a qu'une brève existence puisque elle est en faillite à la fin de l'année 1901 :
FAILLITTES
Société du Biophonographe (Système Joly).-Jugement du 10 décembre 1901.-Ouverture à ce jour.-Syndic, M. Raynaud, 6, quai de Gesvres.
Journal spécial des sociétés françaises par actions, 14 décembre 1901, p. 6.
Au cours des années 1905-1906, Henri Joly va déposer plusieurs brevets : Un "appareil de synchronisme" (FR359234. 14 janvier 1905), un "nouveau procédé d'enregistrement phonographique par la lumière" (FR 361373. 13 avril 1905) et un haut-parleur à air comprimé (10 avril 1906). En fin d'année (4 octobre), Henri Joly fonde la Société anonyme des phonographes et cinématographes Lux sise au 50 boulevard Haussmann et dont le capital est fixé à 1.100.000 francs.
Société des Phonographes & Cinématographes "Lux" (action. 5 novembre 1906)
Et après (1907-1945)
En 1907. Henri Joly dépose quatre nouveaux brevets : une machine à essuyer les films (FR384114. 25 janvier 1907), un dispositif pour les développement des films (FR384115. 25 janvier 1907), des perfectionnements aux appareils cinématographiques (FR384118. 26 janvier 1907) dispositif pour la perforation des pellicules (FR384119. 26 janvier 1907).
En septembre 1907, le capital de la société Lux est porté à 1.500.000 francs, mais dès le mois de mars 1908, à l'occasion de l'assemblée générale de la société Lux, le capital est réduit (1.400.000 francs) et Henri Joly quitte la Lux. La société sera dissoute en 1913.
Henri Joly
Entre 1919 et 1921, Henri Joly continue de déposer plusieurs brevets : des perfectionnements apportés à la fabrication des pellicules vierges cinématographiques (FR516498.16 octobre 1919), un procédé destiné au refroidissement des salles de spectacle (FR532885. 29 mars 1921), une pendule électrique (FR540468. 9 juin 1921). Il exerce plusieurs métiers afin de subvernir à ses besoins dont celui de veilleur de nuit.
À présent il vit retiré du tumulte et des fièvres de la recherche technique contemporaine. Une grave maladie, plus encore que l'âge, a, depuis peu, ralenti son activité. Mais loin de s'engourdir dans l'inaction, sa puissance de travail intellectuel s'oriente vers les problèmes les plus élevés de la spéculation philosophique et métaphysique.
Dans l'ombre où s'achève sa vie de précurseur, il n'espère plus rien, mais il est bien sûr que l'avenir le "découvrira".
MICHAUT, 1936: 32.
Il décède à Paris en 1945.
Sources
CORCY Marie-Sophie, Jacques MALTHÊTE, Laurent MANNONI et Jean-Jacques MEUSY, Les Premières Années de la société L. Gaumont et Cie, Paris, Association française de recherche sur l'histoire du cinéma/Bibliothèque du Film, Gaumont, 1998, 496 p.
DESLANDES Jacques et Jacques RICHARD, Histoire comparée du cinéma, t. II, Casterman, 1968.
G. M., "Kinétoscope à vues multiples", La Nature, nº 1196, 2 mai 1896, p. 337-338.
MANNONI Laurent , " Repères biographiques sur Henri Joly " dans 1895 nº 21, AFRHC, 1996.
MICHAUT Pierre, "M. Henri Joly", La Cinématographie française, nº 912, 25 avril 1936, p. 30-32.
NOVERRE Maurice, Le Nouvel Art cinématographique, Brest, 2e série, nº 3 (juillet 1929, nº 4 (octobre 1929) et nº 5 (janvier 1930).
PATHÉ Charles, Souvenirs et conseils d'un parvenu, Paris, Imprimerie Pierre Latour, 1926, 206 p.
PATHÉ Charles, De Pathé Frères à Pathé Cinéma, 1940, 224 p.
SAUVAGE Léo , L'affaire Lumière : enquête sur les origines du cinéma, Lherminier, 1985.