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- Création : 24 mars 2015
- Mis à jour : 26 novembre 2022
- Publication : 24 mars 2015
- Affichages : 7507
Alfred BRÉARD
(Savonnières, 1861-≥ 1910)
Jean-Claude SEGUIN
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Gabriel, Michel Bréard (Tours, 18/09/1789-Amboise, 31/01/1853) épouse (Saint-Martin-le-Beau, 19/06/1817) Virginie Bourlet (Noizay, 05/11/1795-Tours, 31/08/1879). Descendance :
- Léon, Gabriel Bréard (Amboise, 11/04/1818-Paris 10e, 23/08/1907) épouse (Paris 5e, 07/07/1855) Eugénie Radet.
- Alfred, Yon Bréard (Amboise, 05/08/1827-) épouse (Givet, 15/02/1865) Aline Limborg (Vireux-Molhain, 29/05/1844-)
- Adélaïde, Virginie Bréard (Amboise, 1829-Tours, 07/11/1910) épouse (Amboise, 29/02/1848) Louis, Adrien, Laurent Marrel (Paris, 02/06/1824-)
- Aristide, Edmond Bréard (Amboise, 22/11/1832-Paris 7e, 28/05/1880) épouse (Saumur, 28/06/1859) Florentine, Lucile Leber (Nantes, 11/09/1837-Paris 6e, 31/10/1878). Descendance :
- Gabriel, Aristide Bréard (né Leberre) (Neuilly, 23/02/1855, rec. 28/06/1859->) épouse Charlotte, Elisa Meurant (Boulogne, 03/06/1850-Paris 10e, 31/12/1909), mariée (Paris 10e, 22/10/1868) en 1res noces à Jean, Valérie Rochette. Descendance :
- Gabriel, Henri Bréard (Calais, 01/03/1887) épouse (Saint-Leu-Taverny, 17/12/1910) [Alice Delaunay].
- Alfred, Émile, Edmond Bréard (Savonnières, 22/07/1861-) épouse (Vincennes, 25/08/1896) Marie, Joséphine Delahaye (Bari, Italie, 18/05/1864-).
- Gabriel, Aristide Bréard (né Leberre) (Neuilly, 23/02/1855, rec. 28/06/1859->) épouse Charlotte, Elisa Meurant (Boulogne, 03/06/1850-Paris 10e, 31/12/1909), mariée (Paris 10e, 22/10/1868) en 1res noces à Jean, Valérie Rochette. Descendance :
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Petit-fils et neveu de pharmaciens et fils d'un employé aux chemins du fer du Nord, Alfred Bréard est un homme d'affaires installé en Grande-Bretagne où il représente plusieurs compagnies d'assurances, à partir d'au moins 1887. Il est ainsi secrétaire de la " Day and Company Limited ", dont il assure la liquidation en 1891. Au moment de son mariage (1896), il est représentant de compagnies minières et demeure à Paris 8e, au 19, boulevard Malesherbes, mais il continue avec ses affaires outre-Manche. Alfred Bréard déploie une intense activité et jongle avec plusieurs sociétés à la fois à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Certaines sont installées en Grande-Bretagne, d'autres en France et elles ont des activités qui se recoupent parfois, ce qui crée une certaine opacité. Il est également " banquier " - en réalité, agent de change - et ses activités financières ne semblent pas avoir été toujours d'une grande clarté. L'adresse de son bureau - sans doute aussi adresse personnelle - va servir à domicilier plusieurs sociétés.
Société Internationale d'Études Industrielles (1898-1905)
Sise au 19, boulevard Malesherbes, la Société Internationale d'Études Industrielles, à l'origine de laquelle il n'est sans doute pas étranger, se forme en août 1898 :
Paris.-Formation.-Société anonyme dite Société Internationale d'Études Industrielles, 19, b. Malhesherbes.-50 ans-50,000 fr.-10 août 98.-C.
Archives commerciales de la France, Paris, 21 septembre 1898, p. 1181.
Parmi les figures de cette Société nous trouvons le nom d'Auguste Baron, pionnier du cinématographe, et de Louis Huet. C'est au nom de cette société que sont déposés deux brevets. Le premier en juin 1899 :
290304. Brevet de quinze ans, 27 juin 1899 : Société internationale d'études industrielles, représentée par la société Assi et Genès, à Paris, rue du Havre, nº 6.-Système d'installations permettant de faire voir sur des écrans des images réelles, en couleurs naturelles, de scènes animées.
Bulletin des lois de la République française, juillet 1901, p. 760
Le second, pris en Espagne, en mai 1900 :
26.089 . La Sociedad Internacional de Estudios Industriales. Patente por 20 años, por "Un aparato, llamado 'Teatroscopo', destinado á realizar un espectáculo óptico». Presentada en Madrid en 31 Mayo de 1900. Concedida en 20 Junio de ídem.(Oficina española de patentes y marcas. http://historico.oepm.es/
Curieusement, le même brevet français, déposé à quelques jours d'intervalle, est pris par une autre société The Theatroscope Syndicate Limited dans laquelle Bréard est également partie prenante (voir infra). Dans les deux cas, l'objet des brevets est bien le " théâtroscope " sur lequel Bréard travaille donc depuis 1899. Cette société, dont nous ne savons rien de plus, va finalement s'associer, en 1905, à la compagnie New Industries, dont le siège est à Guernesey et qui est représentée en France par Bréard. Elle change alors de nom et devient la Société du Cinématographe automobile :
Cinématographe automobile (anciennement Société Internationale d'Études industrielles) (Société du). - Changement de dénomination. Modifications aux statuts, 54.-Augmentation du capital, 287.
Cote de la Bourse et de la Banque, Paris, 1 janvier 1905, p. 19.
Alfred Bréard, par sa position de cambiste et d'homme d'affaire, à cheval entre la France et la Grande-Bretagne apparaît bien comme une pièce maîtresse dans bon nombre d'affaires liées au monde du cinématographe et des spectacles optiques.
The Theatroscope Syndicate Limited (≤ août 1899-décembre 1901)
La deuxième société dans laquelle il est directement impliqué est The Theatroscope Syndicate Limited, fondée avant le mois d'août 1899 et sise en Grande-Bretagne. Elle émet 25.000 titres d'une livre sterling chacun. Son existence est directement liée à l'Exposition Universelle de 1900. Alfred Bréard, au nom de cette société, va prendre deux brevets. Le premier pour un " système d'appareil chronophotographique enregistreur et reproducteur " (FR 294.100 du 8 novembre 1899), autant dire un cinématographe, et le second pour le théâtroscope :
300697. Brevet de quinze ans, 26 mai 1900; Société The Theatroscope Syndicate limited, représentée par la société Assi et Genès, à Paris, rue du Havre, nº 6.-Appareil dit theatroscope destiné à réaliser un spectacle optique.
Bulletin des lois de la République française, nº 2327, 1902, Paris, p. 935.
Il faut évidemment distinguer le " théâtroscope" du cinématographe avec lequel il n'a rien à voir. Il s'agit en fait d'une montage optique qui, par le moyen de miroirs, permet de " télé-viser " un spectacle qui se déroule non loin de la salle de spectacle. Le brevet décrit d'ailleurs de façon précise l'invention, et le graphique joint ne laisse aucun doute sur la nature du théâtroscope.
La présente demande de brevet porte sur un appareil permettant de réaliser un nouveau genre de spectacles optique, qui consiste à faire voir sur un écran, à un nombre quelconque de spectateurs réunis dans une salle, une image réelle réduite et très lumineuse d'un sujet quelconque, et plus particulièrement d'une scène animée qui se joue au même moment en un endroit invisible pour le spectateur. Si on le désire, des auditions téléphoniques ou phonographiques correspondant aux scènes représentées sur l'écran complèteront le spectacle. De cette combinaison résultera une illusion parfaite, car l'artiste projeté en couleus naturelles, pourra harmoniser ses gestes et le mouvement de ses lèvres avec les émissions sonores. | |
Société The Theatroscope Syndicate limited, Brevet nº 300697, 16 mai 1900 © INPI |
Mais il va de soi que cela n'est en aucun cas du cinématographe parlant, mais un spectacle optique d'une nature bien différente. Parmi les pionniers qui semblent avoir également été liés, de près ou de loin, avec Alfred Bréard, se trouve Henri Joly qui s'annonce comme revendeur du théâtroscope.
Annuaire du Commerce, de l'Industrie, de la Magistrature et de l'Administration, Paris, Didot-Bottin, 1900, p. 1303.
Le pavillon du Théâtroscope de l'Exposition Universelle de 1900 ouvre finalement ses portes au public que le 15 mai 1900, soit presque un mois après l'inauguration (Le Siècle, Paris, 15 mai 1900, p. 4). Une seconde salle de spectacle, située, également à Paris, au 35 boulevard des Capucines, commence également à présenter le théâtroscope (Le Figaro, Paris, 3 juin 1900, p. 4). Dès lors la presse va publier régulièrement des entrefilets - pour l'essentiel des réclames produites sans doute par la Société elle-même et Alfred Bréard. Mais la réalité est plus sombre. Les affaires ne marchent pas et le public boude le théâtroscope. Afin de sauver ce qui peut l'être, Alfred Bréard va installer une douzaine de mutoscopes dans le pavillon de l'Exposition et quelques autres dans la salle du boulevard des Capucines. Finalement, il demande aussi de pouvoir installer de nouvelles attractions. Le bilan financier est désastreux - mais il faut dire que bien des pavillons de l'Exposition Universelle n'ont pas fait recette - et la réussite technique et artistique assez limitée si l'on en croit le témoignage d'un journaliste américain de passage à Paris, en aoùt 1900 :
Paris, 30 Aug.
[...]
The theatroscope will strike most people as an Ingenious (but not too ingenious) trick. It is said to have solved all the difficulties hitherto inherent to cinematographic representations. There is no “stagger” in the movement of the figures, the outlines are clear, and the colors natural. On the other hand, a suspicion may naturally arise in any ordinary person’s mind that a real performer is acting behind the stage before an inclined mirror which reflects on to another mirror in front of the audience; also that an artificial wheeze is being given to the vocal accompaniment to suggest a gramophone. Nature imitating art for the purpose of deceiving humanity is a novel idea, but the public does not seem to be much attracted by it. When I visited the theatroscope there was not a soul in the place except myself, so that the performance could not begin, and on returning the next day the usher recognized me as "the customer" of twenty-four hours before.
The theatroscope, however, whatever its secret, is less irritating than most of these cinematographic exhibitions.
The New York Times, New York, 9 sept, 1900, p. 16.
Les remarques sont assez savoureuses et confirment que les spectateurs se comptent sur les doigts de la main... La dernière phrase, malgré tout, semble indiquer - ce que confirme le reste de l'article - que le théâtroscope est, malgré tout, le plus original et le plus intéressant de tous les spectacles optiques présentés lors de l'Exposition Universelle. Le pavillon du Théâtrophone ferme donc ses portes le 12 novembre, dernier jour de l'Exposition universelle (Gil Blas, 12 novembre 1900, p. 4). Pour sa part, la salle du boulevard des Capucines va prolonger ses représentations, en introduisant, malgré tout, d'autres attractions. Dans les deux cas, il semble bien que des cinématographes aient pu fonctionner, mais semble-t-il de façon autonome, car le dispositif du théâtroscope ne présente un intérêt que pour les scènes " on life "... La salle du boulevard des Capucines semblent avoir subsisté jusqu'au milieu de l'année 1901, mais sous le nouveau nom de "Théâtroscope-Concert". Quant à The Theatroscope Syndicate Limited, sa liquidation est prononcée lors de l'assemblée générale qui se tient à Londres, le 27 décembre 1901 :
The Theatroscope Syndicate, Limited.
NOTICE is hereby given, in pursuance of section 142 of the Companies Act, 1862, that a General Meeting of the Members of the above named Company will be held at No. 28, Finsbury-pavement, in the city of London, on Friday, the 27th day of December, 1901, at 4.30 o'clock in the afternoon, for the purpose of having an account laid before them, showing the manner in which the winding up has been conducted, and the property of the Company disposed of, and of hearing any explanation that may be given by the Liquidator ; and also of determining by Extraordinary Resolution the manner in which the books, accounts, and documents of the Company, and of the Liquidator thereof, shall be disposed of.—Dated the 25th day of November, 1901.
HERBERT E. TAYLOR, Liquidator.
The London Gazette, November 26, 19901, p. 8344.
La disparition de The Theatroscope Syndicate Limited n'est finalement qu'une étape puisqu'une nouvelle société est déjà en route...
La société nouvelle du Théâtroscope limited (1901-1906)
The Theatroscope Syndicate Limited va laisser sa place à La Société Nouvelle du Théâtroscope Limited, à partir du mois de juillet 1901, comme l'indiquent les deux annonces plubiées au Journal Officiel :
La société nouvelle du Théâtroscope limited, ayant son siège à Londres, est, à partir du 1er juillet 1901, abonnée au timbre pour : 1° 3.000 actions privilégiées, nos 3.001 à 6.000, d’une valeur nominale de 1 £. ; et 2° 3.000 actions ordinaires, nos 1 à 3.000, d’une valeur nominale de 1 £.
La société "The Theatroscope syndicate, limited", ayant son siège à Londres, est, à partir du 1er juillet 1901, désabonnée au timbre pour 25,000 actions, nos 1 à 25,000, d'une valeur nominale de 1 £.
Journal Officiel de la République française, 20 novembre 1901, p. 7270.
Le timbre dont il est question représente le versement effectué au fisc français qui n'étant plus versé par la société en liquidation, va l'être par la Société Nouvelle du Théâtroscope Limited.
C'est à cette époque qu'Alfred Bréard va se lancer dans un nouveau projet qui va donner lieu à plusieurs brevets et qui aboutira au " cinématographe automatique " : un " système de cinématographe à mouvement continu des images à projeter et à objectif fixe " (FR 305.989 du 6 mars 1901), un " cinématographe optique à mouvement continu des images " (FR 316.991 du 17 décembre 1901), un " dispositif à rotation continue, destiné à immobiliser optiquement les images fournies par une série cinématographique en mouvement en superposant à chaque image l'image suivante, de manière à donner des images fondantes. " (FR 323.089 du 16 juillet 1902), un " dispositif d'objectif destiné à produire des images fondantes tout en maintenant fixe la projection d'objets se déplaçant d'une manière continue " (FR 323.497 du 4 août 1902), " Objective for kinematographic or like projections " (US775000 du 26 février 1903). Nous disposons, grâce à l'intérêt que lui porte Émile Gautier, responsable de la publication L'Année Scientifique et Industrielle, d'une description précise du " cinématographe automatique ". C'est ainsi qu'il en parle dans Le Figaro :
Les Miettes de la Science
Le cinématographe automatique
Malgré bientôt dix ans de succès fou — ce qui est singulièrement long pour un spectacle — le cinématographe est toujours à la mode. Il serait même plus vrai de dire qu'il est de plus en plus à la mode. On s'écrase, comme au premier jour, dans les établissements ou il déroule, à ruban continu, sa fantasmagorie hallucinatoire.
Un tableau - c'est-à-dire, par définition même, quelque chose de froid et de figé — qui, brusquement, sponte sua, remue, frémit et s'anime, au point de donner l'illusion du grouillement de la vie, n'est-ce pas tout ce qu'on peut rêver de plus extraordinaire, de plus troublant ?
Nous arrivons à l'époque ou le cinématographe va cesser d'être un sport-de luxe, une « machine » de laboratoire ou de théâtre, exigeant l'intervention de manipulateurs professionnels, pour entrer dans l'outillage courant des distractions domestiques, et se faire décidément tout à tous. Il est, en d'autres termes, à la veille d'atteindre cette phase de l'évolution industrielle qui marque la consécration suprême et le définitif triomphe des inventions de ce genre, et le moment approche où chaque famille aura son cinématographe à domicile, comme on a son phonographe, son théâtrophone; sa machine à coudre et son piano.
Il y a belle lurette —probablement depuis la première apparition du cinématographe — que ce rêve est à l'ordre du jour. Mais on n'avait pas encore réussi jusque à aujourd'hui à lui donner un corps assez consistant pour lui permettre d'entrer dans la pratique. En outre, en effet, que les appareils sont volumineux, partant encombrants, et exigent, puisqu’ils opèrent à distance, dans l'obscurité, un espace relativement considérable, leur manœuvre ne laisseras d'être délicate, parfois même dangereuse. Est-il besoin d'évoquer le tragique souvenir de catastrophes pour apprendre aux profanes que les longues pellicules de celluloïd qui sont les munitions indispensables de l'artillerie cinématographique ne sauraient toujours voisiner impunément avec un foyer lumineux ? Et la nécessité d'avoir chez soi une lampe à arc, avec un courant électrique intense et tout ce qui s'ensuit, ne va pas sans certains inconvénients.
Nous en étions là, et le cinématographe semblait condamné à demeurer confiné in œternum dans la sphère inextensible des représentations collectives, pour lesquelles il faut des locaux machinés ad hoc, lorsque surgit inopinément M. Bréard, de la Société Internationale d'Études Industrielles, avec son cinématographe automatique, qui n'est pas loin d'avoir résolu toutes les difficultés.
Le trait caractéristique du cinématographe automatique Bréard, dont il vient de m'être donné de suivre les suggestives démonstrations, c'est que la pellicule de celluloïd y est remplacée par un disque en verre, portant la série des images disposées en spirales, et animé d'un mouvement continu.
Ce n'est pas la première fois qu'on essaye de substituer le verre au celluloïd dans les projections cinématographiques, et il me souvient d'avoir vu de plaques de ce genre, de fabrication anglaise si j'ai bonne mémoire. Mais les résultats obtenus par un mécanisme saccadé n'ont rien de séduisant. En outre, en effet, que la disposition des images à la périphérie du disque en limite forcément le nombre et en altère la valeur, le mouvement rotatif intermittent auquel est soumis ce disque présente tous les inconvénients de l'usure rapide et des agaçantes trépidations qui sont le fléau de la cinématographie traditionnelle.
Rien de semblable à craindre avec l'appareil de M. Bréard, dont le principe breveté combine si heureusement le mouvement rectiligne de la plaque avec son mouvement continu de révolution que l'angle de rotation varie constamment avec le rayon de la spirale, au fur et à mesure de son déplacement. Il s'ensuit que les images, toutes d'égale grandeur, se rangent l'une à côté de l'autre, sans perte d'espace, sur le plateau qui, même sous un diamètre très faible, peut en contenir aisément un millier. Et comme le roulement est aussi doux que régulier, comme, d'autre part, tous les organes sont en verre ou en métal — substances infiniment moins sujettes à la détérioration et à l'usure que le celluloïd - vous avez ainsi l'appareil idéal, n'occupant pas plus de 40 à 50 centimètres carrés, complet par lui-même, s'illuminant au moyen d'une vulgaire lampe à alcool, exempt de toute espèce , de danger, et susceptible de durer indéfiniment.
Il n'y a qu'à changer les plaques, comme on change les rouleaux du phonographe — avec cette différence, toutefois, que les plaques de verre peuvent servir, sans altération, un nombre de fois illimité- pour se composer une admirable collection de projections animées, une sorte de musée vivant, évocable à. volonté, en tout temps et en tout lieu.
L'attrait de ce nouveau cinématographe est d'autant plus grand que le système optique adopté pour les projections y est merveilleusement compris. Par exemple, ce système appliqué à un appareil avec pellicule (film) ordinaire peut réaliser, au moyen d'une simple manivelle, des vitesses équivalentes à 2,000, 3,000 et même 4,000 projections : (au lieu de 900 au maximum) à la minute, de façon à réduire au minimum l'affreux scintillement dont tout le monde se plaint sans que personne, ait encore réussi à trouver le remède. C'est ce que M. Bréard appelle « le Cinématographe à haute fréquence ».
C'est toute une enfilade d'horizons insoupçonnés qui s'ouvre pour le cinématographe qui, sous cette forme nouvelle, éminemment ingénieuse, amusante, instructives pratique, va trouver sa place non seulement dans- les salons, où il servira à faire revivre les scènes les plus variées, prises dans le monde entier, au gré des amateurs, mais encore chez le photographe, pour la création, irréalisable jusqu'ici, du portrait animé. Ce qui ne l'empêchera pas de se prêter aussi bien, dans les établissements publics — toujours comme le phonographe — aux exhibitions collectives à bon marché.
Les fidèles pourront encore aller, si le cœur leur en dit, à la montagne ; mais, s'ils le préfèrent, la montagne saura venir à eux.
Depuis l'invention du cinématographe, l’histoire de son industrie n'avait pas encore compté un seul événement d'une telle importance.
Emile Gautier.
Le Figaro, Paris, 30 juin 1902, p. 4.
Après quelques considérations générales, mais non dénuées d'intérêt, Gautier indique que la nouvelle invention de Bréard est essentiellement à l'usage des particuliers. L'innovation - si l'on peut dire - consiste à remplacer la pellicule celluloïd par un ou plusieurs disques en verre soumis à un double mouvement rectiligne (translation) et rotatif (elliptique). Il s'agit de reprendre, de fait, et d'améliorer l'idée du revolver photographique de Janssen. Mais malgré l'enthousiasme du commentateur, le brevet ne semble pas avoir donné de résultats tangibles.
Une fois encore, cette société semble très peu active et, dès 1904, elle va se désabonner au timbre fiscal comme le signale le Journal officiel :
La société nouvelle du " Théâtroscope, limited ", ayant son siège à Londres, est, à partir du 1er juillet 1904, désabonnée au timbre pour 3,000 actions privilégiées, nos 3001 à 6000 et 3,000 actions ordinaires, nos 1 à 3000, les unes et les autres d'une valeur nominale de 1 liv. st. chacune.
Journal officiel de la République française, Paris, 23 juin 1904, p. 3866
Autant dire que les affaires ne marchent guère et moins de deux ans plus tard, les procédures de liquidation sont engagées par l'Assemblée Générale :
In the Matter of the Companies Acts, 1862 to 1900, and of SOCIETE NOUVELLE DU THEATROSCOPE Limited.
AT an Extraordinary General Meeting of the above named Company, duly, convened, and held at Moorgate-court, Moorgate-street, in the city of London, on the 17th day of May, 1906, the following Extraordinary Resolutions were duly passed, viz.:—
" That it has been proved to the satisfaction of this Meeting that the Company cannot, by reason of its liabilities, continue its business, and that it is advisable to wind up the same, and accordingly that, the Company be wound up voluntarily."
" That Henry Blondell, of Moorgate-court, in the city of London, be and he is hereby appointed Liquidator for the purposes of such winding up."
Dated the 19th day of May, 1906.
HERBERT Y. TAYLOR, Chairman.
The London Gazette, May 25, 1906, p. 3680.
Une dernière réunion a lieu, le 16 juillet 1906 afin de solder les comptes de la liquidation prononcée :
SOCIETE NOUVELLE DU THEATROSCOPE Limited.
NOTICE is hereby given, that a General Meeting of the above named Company will be held at Moorgate-court, London, E.C., on the 16th July, 1906, at 1 o'clock in the afternoon, for the purpose of having the Liquidator's accounts, showing the manner in which the winding up has been conducted, and the property of the Company disposed of, laid before such Meeting, and of hearing any explanation that may be given by the Liquidator.—Dated the llth day of June, 1906. 003 H. BLONDELL, Liquidator.
The London Gazette, June 15, 1906, p. 4169.
Malgré son nom, la société ne semble pas avoir exploité le " théâtroscope " ou si elle l'a fait, c'est de façon très limitée.
Société du Cinématographe automobile (1905-1906)
Avant même la liquidation de la Société Nouvelle du Théâtroscope, Alfred Bréard se lance dans une nouvelle aventure, celle du " cinématographe automobile ". Pour ce faire, il va " fusionner" la Société internationale d'études industrielles et la New Industries Limited, pour donner naissance à la nouvelle " Société du Cinématographe automobile " :
Paris.-Modifications aux statuts.-Société du CINÉMATOGRAPHE AUTOMOBILE (ANCIENNE SOCIÉTÉ INTERNATIONALE D'ÉTUDES INDUSTRIELLES, 19, b. Malesherbes.-Nomination d'administrateur.-30 janv. 1905.-C.
Archives commerciales de la France, Paris, 4 mars 1905, p. 266.
Son capital est de 800.000 francs (divisé en actions de 100 fr. chacune), et son siège, 19 boulevard Malesherbes, correspond au bureau de change d'Alfred Bréard. Rapidement la presse - et surtout Le Petit Journal - va se faire l'écho des différentes péripéties liées à la société. Parmi les figures qui sont liées à cette nouvelle aventure on retrouve les noms de Louis, Henri Huet, concepteur des brevets de l'audiphone - rachetés par le " Cinématographe automobile ", Auguste Baron, chargé de l'aménagement technique des automobiles, et François Dussaud, créateur du Dussaud'scope (ou Dussaudscope), commercialisé par Le Petit Journal. Ce dernier va céder ses droits sur l'exploitation de son invention et rétrocéder à la société les locaux du boulevard des Italiens :
M. Dussaud Charles François, ingénieur, chevalier de la Légion d'Honneur, ingénieur-conseil de la Compagnie Générale des Anciens Établissements Pathé frères cède à la société qui accepte, pendant toute sa durée le monopole de l'exploitation eet de la vente en France du Dussaudscope tel qu'il fonctionne depuis plusieurs mois au Peetit Journal, 21 rue Cadet à Paris. Le Dussaudscope n'ayant fait l'objet d'aucun brevet ni marque, la société du Cinématogrpahe Automobile s'engage à exécuter le présnt contrat dans tous les cas où des objets du type dussaudscope seraient exploités ou vendus par tout autre tiers.
Monsieur Dussaud consent à rétrocéder à la société du Cinématographe Automobile les locaux sis à Paris, 31 boulevard des Italiens [...] Ce mobilier se trouvant dans lesdits locaux consiste en : tableaux en bois peint a l'extérieur sur le boulevard, caisse pour la caissière à l'entrée, 72 chaises en bois, deux loges, un écran de projections, un lustre, un fourneau Kern, une caisse suppportant la cabine, une cabine démontable, le tout dans la salle. Dans la cabine se trouvent : un poste Pathé complet, un tableau de distribution, une corbeille à recevoir les films, sept bobines à films [...] Ce mobilier restera la propriété exclusive de Monsieur Dussaud.
Bibliothèque Publique et Universitaire, Genève, 1994/32, dossier nº 12, contrat du 1er mars 1905, entre la Société du Cinématographe Automobile et François Dussaud. Cité dans Frauenfelder, 2005, 31.
À partir de là, Dussaud ne semble pas avoir un rôle déterminant dans la société. De son côté, Alfred Bréard dresse un portrait parfaitement lumineux de ce projet novateur. Il confie ses sentiments au Petit Journal qui ne peut qu'approuver ces propos enthousiastes :
INFORMATIONS
Une affaire intéressante
Nos lecteurs savent que, depuis plusieurs mois, des exhibitions cinématographiques en contour ont lieu deux fois par semaines dans la salle des fêtes du Petit Journal.
Elles sont réservées d'une façon spéciale à nos lecteurs. Elles ont eu et ont un succès extraordinaire, à ce point qu'à notre grand déplaisir tous ceux qui désiraient y assister n'ont pu toujours trouver des places, la salle étant archibondée.
C'est que le spectacle est tout nouveau. Pour la première fois, grâce au procédé Dussaudscope, on a vu des scènes animées on couleur. Et la couleur donne l'illusion de la vie d'une façon si parfaite que ceux qui ne connaissent que les cinématographes ordinaires : noir sur blanc, sortaient émerveillés. Un autre procédé, dit procédé à haute fréquence, ajoute à l'illusion, car il permet de supprimer le tremblement de l'image.
Constatant le succès de ces exhibitions si perfectionnées et le grand plaisir qu'y prenait le public, un regret nous est souvent venu.
Nos lecteurs de Paris sont nombreux, mais ceux des départements sont plus nombreux encore et nous pensions à ceux que nous ne pouvions faire profiter du spectacle.
Et, comme nous avions souvent exprimé ce regret devant un des organisateurs de nos exhibitions, un jour, celui-ci vint et nous tint ce langage.
— Que diriez-vous, si je vous annonçais que j'ai trouvé le moyen de transporter votre spectacle partout en France où vous avez des lecteurs ?
—- Nous dirions que la chose nous ferait un très grand plaisir. Malheureusement, nous la considérons comme impossible. Comment pourriez-vous, loin de Paris et de ses ressources, donner un spectacle de tous points semblable à celui de notre salle des Fêtes ?
Il sourit et répondit :
— Ce qui vous semble impossible sera cependant réalisé, si vous voulez bien faire pour vos lecteurs des départements ce que vous faites pour ceux de Paris.
Et, ayant ainsi parlé, M. Bréard, l'inventeur du cinématographe à haute fréquence, nous exposa son plan.
— J'ai formé, nous dit-il, une société afin de réunir les capitaux nécessaires à l'exécution de mon projet. Avec l'argent que m'apportera le public, je construirai des automobiles d'un modèle spécial qui se transporteront de ville en ville.
Dans chacune d'elles une salle sera louée et sera installée comme votre salle des fêtes. Le moteur de l'automobile qui aura apporté, le matériel spécial fournira l'électricité nécessaire à l'éclairage de la salle et aux projections, et je vous promets que le spectacle sera identique à celui que vous offrez à vos lecteurs parisiens.
En effet, j'ai passé un traité qui m'assure le monopole des appareils employés à Paris pour le cinématographe du Petit Journal : Dussaudscope en couleur, vues Pathé, cinématographe à haute fréquence, etc.
Je vous ferai connaître à l'avance mon itinéraire, vous annoncerez le spectacle et je m'engage à admettre les lecteurs du Petit Journal à moitié prix. Vous leur procurerez ainsi, pour peu d'argent, un spectacle qui les enchantera et dont jusqu'ici les seuls lecteurs parisiens avaient pu jouir. N’est-ce pas ce que vous désiriez ?
C'est, en effet, ce que nous désirions. Et M. Bréard, administrateur délégué de la nouvelle Société, nous ayant plus au long exposé le mécanisme de sa combinaison, nous avons jugé que l'affaire telle qu'il l'a imaginée méritait d'être exposée à nos lecteurs.
Elle paraît, en effet, susceptible d'offrir des bénéfices rémunérateurs à ceux qui s'y intéresseraient.
La société dite du Cinématographe automobile se propose de faire construire des voitures automobiles, qui auront une double source de bénéfices. Outre qu'elles serviront pour les exhibitions cinématographiques, elles seront aménagées de telle sorte que les panneaux seront transformés en affiches lumineuses comme celles que nous voyons sur les boulevards. Elles porteront aussi sur le côté douze « auto-théâtres » permettant, moyennant 10 centimes glissés dans une fente, de voir des scènes animées. Le système est connu, celui de la société est perfectionné.
La société estime que le bénéfice net par automobile, provenant des spectacles, de la publicité, des auto-théâtres, s'élèvera annuellement pour chacune d'elles d'après des calculs serrés de-très près par des gens fort compétents, à 15,000 francs.
Et elle considère que, avec le produit des vingt premières voitures, chaque action pourra recevoir un dividende de 12 p. 100, amortissement et réserve déduits.
L'action est de 100 francs.
Tel est, en gros, l'exposé de l'affaire, sur laquelle nous nous proposons, du reste, de revenir. Disons seulement que la souscription aux actions est ouverte dès maintenant au siège de la société et que les demandes de titres doivent être adressées à M. Alfred Bréard, administrateur-délégué de la société du cinématographe automobile, 19, boulevard Malhesherbes, à Paris.
Il fera tenir aux personnes désireuses de souscrire une notice détaillée, contenant tous les renseignements désirables.
Ajoutons que les actions, dès que le moment sera venu, seront cotées et.se négocieront à la bourse.
Le Petit Journal, Paris, 13 mars 1905, p. 5.
Il va de soi que Le Petit Journal, partenaire cette entreprise, ne peut qu'offrir une vision idyllique de ce projet. On retiendra, dans l'article, l'idée d'apporter le cinématographe dans les zones éloignées du territoire, la possibilité d'installer des panneaux à des fins publicitaires et la présence d' " auto-théâtre ", une variante du mutoscope. En soi, l'idée est audacieuse dans la mesure où la France rurale va pouvoir découvrir le cinématographe.
Le Petit Journal, Paris, 4 avril 1905, p. 6. | Société du Cinématographe Automobile Action de 100 fr (15 août 1905) [D.R.] |
Dans un nouvel article, toujours publié dans Le Petit Journal, le rédacteur - s'agit-il d'Alfred Bréard lui-même ? - détaille tout l'aspect économique dans le but manifeste d'attirer des actionnaires potentiels. La lecture de l'article donne une idée des différentes possibilités de recettes, le cinématographe, bien sûr, mais également la publicité et les ventes d'appareils :
La Cinématographe automobile
Si nous en jugeons par les nombreuses lettres d'encouragement, de félicitations et aussi de demandes de renseignements complémentaires que nous recevons, l'idée du Cinématographe automobile a séduit tout de suite le public et nous ne doutons pas que les tournées prochaines organisées par la Société ne soient des tournées triomphales et fructueuses. Ce dernier point n'a pas échappé, en effet, à nos lecteurs et plus d'un parmi eux ne se montre pas moins désireux de devenir actionnaire que d'être spectateur.
Nous avons donc répondu en bloc aux questions qui nous sont posées sur les prévisions de recettes et de dépenses, bref sur les chances financières de l'entreprise.
La première source de recettes sera naturellement la séance de cinématographie. On évalue le nombre des journées de travail à 270 par an et par voiture, soit 60 dimanches et fêtes, 50 jeudis et 160 journées de semaine. Il y a ainsi une marge de 3 mois dans l'année pour chômage et imprévu, Par contre, on prévoit deux séances par jour.
La recette des séances des dimanches et fêtes est évaluée à 300 francs l'une ; celle des séances du jeudi à 150 francs et celles des journées de semaine à 75 francs. Si l'on fait le total, cela représente, pour 270 journées et 540 séances, une somme totale de 75,000 francs ; rien que du fait du spectacle lui-même. En déduisant 45,000 francs pour frais et location des salles, en arrive à une recette nette de 30,000 francs.
Mais il y aura en sus les recettes de la publicité, sur les panneaux des voitures ; les projections lumineuses - et de publicité - sur l'écran de la voiture ; les projections lumineuses — et de publicité également — sur l'écran des spectacles pendant les entr'actes ; enfin le produit de la vente des appareils, car la Société vendra des cinématographes, phonographes, etc. On estime que chaque voiture tirera de ces recettes accessoires, mais multiples, 42,000 fr. par an.
Donc, du côté des recettes : 30,000 francs nets pour le spectacle et 42,000 pour la publicité et les ventes d'appareils, ensemble 72,000 fr. En regard, mettons pour dépenses d'exploitation, amortissement du matériel, frais généraux, etc., 50.000 fr. Il resterait un excédent net de 22,000 fr. par voiture. La Société ramène cette prévision à 15,000 fr, seulement par prudence.
Comme il y aura pour débiter, vingt voitures, on obtiendrait un bénéfice net de 300,000 francs permettant la distribution d'un dividende de 12 % qui absorberait 180,000 fr. en laissant un solde disponible de 120,000 fr. pour réserve extraordinaire, report à nouveau ou augmentation du dividende.
Rappelons à nos lecteurs qui désirent participer à cette affaire qu'ils peuvent obtenir les actions au pair de 100 fr, en s’adressant sans délai à M. Alfred Breard, administrateur-délégué de la Société, 19, boulevard Malesherbes.
Le Petit Journal, Paris, 20 mars 1905, p. 5.
Parallèlement, la Société du cinématographe automobile, représentée par Assi (41, rue des Martyrs, Paris), dépose un nouveau brevet (352796, 28 mars 1905) pour un "dispositif de voiture automobile pour publicité diurne et nocturne avec remplacement automatique des annonces" (Bulletin des lois de la République française, janvier 1906, p. 1675). L'utilisation de l'automobile, ou du cinématographe automobile, à des fins publicitaires, est évidemment un enjeu essentiel pour le projet d'Alfred Bréard et de ses collaborateurs.
Pour sa part, la construction des voitures va s'effectuer à Neuilly où une usine est construite à cet effet. La livraison de la première automobile est envisagée pour la fin du mois d'avril et trois autres, qui ont été commandées, sont en construction. C'est donc un parc de quatre voitures qui, dans un premier temps, semble être mis en place. (Le Petit Journal, Paris, 17 avril 1905, p. 5).
Souvenir d'une séance Cinématographe automobile (1905)
Mais, malgré ces déclarations très optimistes, la construction des automobiles prend du retard et c'est Alfred Bréard qui se voit contraint de s'expliquer dans la presse :
Le Cinématographe automobile
Quelques lecteurs nous ont écrit, nous demandant quand aura lieu l'introduction à la Bourse des actions de la Société du Cinématographe automobile.
Nous avons posé la question à l'administrateur délégué, qui nous a répondu :
— L'introduction des titres suivra la mise en marche des voitures automobiles.
— Et quand les voitures seront-elles en marche ?
— Elles devraient déjà, au moins quelques-unes, parcourir les départements, mais il est arrivé ce qui arrive presque toujours quand on fait construire un matériel entièrement nouveau, comportant une partie mécanique. Tout ne se combine pas parfaitement du premier coup ; il faut refaire, modifier des points de détail. De sorte que le constructeur - et il est excusable — n'arrive pas au jour dit. Nos premières voitures nous sont promises pour le 20 juin.
— Le 20, cela veut dire la fin du mois ?
— Mettons la fin du mois. Remarquez que la Société n'est vieille que de trois mois, que tout était affaire quand les actionnaires ont commencé à lui apporter leur argent. Nous n'aurons pas perdu de temps, si nous commençons à marcher le 30. D'ailleurs, nous ne restons pas inactifs. En attendant la livraison de nos voitures, nous avons commencé à donner, en utilisant un matériel accessoire, des représentations qui, partout, ont eu un grand succès.
Pour nos débuts, nous avons déjà une recette de 8,000 francs. Cela, sans la publicité lumineuse, sans les autothéâtres, sans les projections et autres sources de-recettes qui entreront, pour une bonne part dans les bénéfices prévus.
— Alors, vous êtes satisfait ? ;
— Autant qu'on peut l’être. Tout va bien. Dites aux lecteurs du Petit Journal, dont beaucoup sont nos actionnaires, que, quant à l'introduction en Bourse, elle viendra à son heure et au mieux de leurs intérêts, c'est-à-dire prochainement, lorsque l'affaire fonctionnera normalement avec tout ce qu'elle comporte et que chacun pourra juger. Cela sera profitable aux transactions. Dites aussi qu'ici, au siège de la Société, 19, boulevard Malesherbe, je suis à leur disposition pour leur donner tous les renseignements qu’ils désireraient et que les personnes qui veulent acheter des titres peuvent les trouver à nos guichets, cela au prix d'émission, soit 100 fr., cours qui a de grandes chances d'être dépassé dès l'introduction sur le marché.
Ainsi nous a parlé M. Bréard, administrateur délégué de la Société du Cinématographe automobile. Ses déclarations servent de réponse aux questions qui nous ont été posées.
Le Petit Journal, Paris, 12 juin 1905, p. 5.
On peut légitimement croire les propos que tient Bréard, mais le fait est que la situation est plus compliquée que prévue et les questions techniques freinent l'expansion de la société et interrogent les actionnaires. Heureusement les prévisions de l'administrateur-délégué sont justes et, avant la fin du mois de juin un premier " Cinématographe automobile " est annoncé à Verneuil, dans l'Eure. Par la suite, une voiture de la société accompagne le Concours de Véhicules Industriels, organisé par l'Automobile Club de France du 28 juillet au 8 août 1905, qui conduit les voitures de Paris à Compiègne, puis à Amiens, Dieppe, Le Havre et retour à Paris.
Le Concours de véhicules industriels. Vue d'ensemble du pesage, aux Tuileries.
Le Sport universel illustré, nº 473, Paris, 13 août 1905, p. 525.
© BNF
Un Cinématographe Automobile va parcourir l'Est de la France à partir du mois d'août : Gisors, Saint-Quentin, Laon, Reims, Clermont, Sermaize, Ligny-en-Barrois, Commercy, Saint-Mihiel, Bar-le-Duc, Vouziers (annulé), Verdun, Montmédy, Sedan, Troyes, Bohain... À Troyes, le Cinématographe Automobile va rester plusieurs semaines et apporte une information sur la programmation :
Cirque Municipal
A partir de ce soir, dans le nouveau programme, sera intercalé une vue de toute actualité.
C’est la course de taureaux qui a été donnée à Madrid en l’honneur de M. Loubet, président de la République.
Les courses ont été cinématographiées par les soins du Cinématographe Automobile, et pour sa dernière semaine la Société nous donne cette primeur. Soirées jeudi, samedi et dimanche clôture.
Le Petit Troyen, Troyes, 1er novembre 1905, p. 2.
Une séance de Cinématographe Automobile. Alençon. c. 1905
S'agit-il d'un effet publicitaire ou bien la vue a-t-elle été réellement tournée par un opérateur du Cinématographe Automobile ? A-t-elle les moyens de payer les frais liés à un tel voyage. Il faut savoir, par ailleurs, que ce voyage a été filmé par Léo Lefebvre et Félix Mesguich. Il semble que le cinématographe automobile interrompe alors ses tournées.
Par ailleurs, un Cinématographe de la société s'installe, en septembre, au Ba-Ta-Clan, récemment repris par Gaston Habrekorn :
A Ba-ta-Clan : C'est dans sa vaste et coquette salle que la société du Cinématographe automobile offre au public ses merveilleuses vues en couleurs.
Demain dimanche 24 septembre, matinée à deux heures, soirée à 8 h 3/4.
La Lanterne, Paris, 24 septembre 1905, p. 3.
La Société du Cinématographe Automobile va tenir son assemblée générale en novembre 1905 :
Société du Cinématographe automobile.-Les actionnaires sont, nous l'avons déjà annoncé, convoqués en assemblée générale extraordinaire pour mercredi 15 novembre.
Dans l'avis qui leur a été adressé à cet effet, les actionnaires sont avisés qu'aussitôt après l'assemblée le nécessaire sera fait pour la remise des titres définitifs et pour la cote à la Bourse.
Le Petit Journal, Paris, 9 novembre 1905, p. 5.
C'est l'occasion de faire un premier bilan des activités commerciales. Le Petit Journal va publier un article qui fait la synthèse du rapport de cette assemblée extraordinaire :
INFORMATIONS
Société du Cinématographe automobile
Ainsi que nous l'avons annoncé, l'assemblée extraordinaire des actionnaires a été tenue mercredi dernier dans la Salle des Fêtes du Petit Journal.
Sur 8,000 actions composant le capital actuel de la Société, 6,500 étaient représentées.
Du rapport lu par l'administrateur-délégué, il résulte que, depuis que la Société a commencé à fonctionner, le conseil s'est appliqué à construire et à mettre au point son matériel d'exploitation, — tâche considérable qui, à elle seule, eût pu suffire à absorber son activité, étant donnés le fini et la multiplicité de ces mécanismes de précision, — mais il a, en plus, dans cette brève période, élevé ses ateliers de fabrication, établi et construit les appareils spéciaux de vulgarisation cinématographique qui doivent alimenter, ses services commerciaux, et, enfin, entrepris, bien qu'avec des moyens provisoires, une importante exploitation de spectacles embrassant Paris et la province.
Le gros succès de la séance a été pour la grande voiture de cinématographe automobile, qui faisait pour la première fois son apparition en public. Pour venir des ateliers de construction au Petit Journal, elle avait attiré sur son passage une foule nombreuse qui a envahi après elle la vaste cour du Petit Journal. L'automobile a fonctionné devant le public, émerveillé de ce spectacle nouveau.
L'administrateur-délégué a, dans son rapport, constaté que, pendant les quatre premiers mois de son existence, il a visité 80 villes de province et encaissé plus de 100,000 fr. de recettes. Aussi l'assemblée a-t-elle émis à l'unanimité un vote de félicitations et de remerciements au conseil d'administration.
Toutes les résolutions qui lui ont été soumises ont été approuvées. Parmi ces résolutions est l'augmentation du capital.
Ajoutons que, dans quelques jours, les actionnaires pourront échanger leurs titres provisoires contre des titres définitifs.
Le Petit Journal, Paris, 20 novembre 1905, p. 5.
Le temps est au beau fixe, si l'on en croit le rapport lu par Alfred Bréard. Les activités relatives au matériel d'exploitation tournent à plein régime et les tournées en France sont particulièrement rentables. Entre outre, il semble que la Société du Cinématographe Automobile ait également sous sa responsabilité le cinématographe installé dans la salle des fêtes du Petit Journal :
[...]
En ce qui touche l'exploitation, les nouvelles que nous donne la Société sont de nature à intéresser les actionnaires. D'abord, les séances à la Grande Salle des Fêtes du Petit, Journal pour la saison d'hiver recommenceront le dimanche 1er octobre. Et nous ajouterons que le matériel a été modifié de façon à couvrir un immense écran qui occupera la presque totalité de la grande scène.
Le Petit Journal, Paris, 18 septembre 1905, p. 5.
Il faut évidemment nuancer ce bilan en rappelant que Le Petit Journal, qui suit très régulièrement les activités du Cinématographe Automobile, est, on le voit, partie prenante. La réalité est sans doute moins souriante. De combien de cinématographes automobiles dispose réellement la société ? Si nous pouvons en localiser un dans l'Est de la France, pour reste, nous ne trouvons que quelques représentations organisées à Paris. C'est d'ailleurs ce que l'on peut comprendre dans les lignes qui suivent : " l'assemblée des actionnaires [...] ont pu voir fonctionner la grande automobile que la Société a fait construire pour son exploitation normale et qui est destinée à remplacer les moyens provisoires utilisés jusqu'à présent. D'autres automobiles semblables sont en construction et permettront de réaliser les recettes diverses prévues par la Société. " (Le Petit Journal, Paris, 16 novembre 1905, p. 5). Par ailleurs, la mise place des actions (ou titres) se révèle bien plus longue que prévue : " Dans l'avis qui leur a été adressé à cet effet, les actionnaires sont avisés qu'aussitôt après l'assemblée le nécessaire sera fait pour la remise des titres définitifs et pour la cote à la Bourse " (Le Petit Journal, Paris, 9 novembre 1905, p. 5). L'opération est finalement repoussée au 4 décembre : " Les souscripteurs d'actions sont informés que la délivrance des titres définitifs aura lieu à partir du lundi 4 décembre. Ceux parmi les actionnaires qui voudront profiter du droit de souscrire aux nouvelles actions autorisées par l'assemblée pour la création du nouveau capital, doivent adresser leur demande au siège social, 19, boulevard Malhesherbes. " (Le Petit Journal, Paris, 27 novembre 1905, p. 5).
La tournée du Cinématographe Automobile semble reprendre au mois de février 1906, moment à partir duquel plusieurs villes ou communes vont être visitées : Ribemont (2 fois), Wassy, Gournay-en-Bray, Mehun-sur-Yèvre, Verneuil, Tergnier, Liancourt, Château-Thierry, Montbéliard... À Paris, également, des événements sont accompagnés par le Cinématographe Automobile, comme lors de la réception de la reine de Rome, à la Mi-Carême (mars 1906), à l'occasion de la fête du Petit Journal illustré de la Jeunesse (juillet 1906) ou lors d'un concert aux Halles (octobre 1906).
Du côté des affaires, il y a de l'inquiétudes chez les actionnaires et Le Petit Journal obtient de la société des informations toujours rassurantes :
Cinématographe automobile
Afin de donner satisfaction à ceux de nos lecteurs, souscripteurs des actions de cette Société, qui nous demandaient, des renseignements sur la situation de l’affaire, nous nous sommes adressés au conseil d'administration qui nous a fait la communication suivante :
La Société a mis actuellement en marché quatre tournées automobiles dénommées : Tournées du Nord, du Centre, de l'Est et de l'Ouest. C'est ainsi que, dimanche 1er avril, ces tournées donnaient des représentations à la Fère, au théâtre Municipal ; à Amboise, au Théâtre ; à Baccarat, à la Salle des Fêtes de la mairie ; et à Verneuil au Théâtre. Elles produisent une moyenne de résultats aussi satisfaisante qu’on peut l'espérer pour une première série d'exploitation, et qui permet de sélectionner pour l'avenir les régions les plus productives, de façon à constituer un champ d'exploitation ne présentant aucun aléa. Il s'ensuit que très prochainement , il n' y aura plus qu'à diriger les tournées vers les nouveaux circuits établis d'après l'expérience acquise, pour récolter régulièrement les bénéfices assurés d’avance d'une organisation à laquelle l'administration a donné tous ses soins.
Dès aujourd'hui , et d'après cette période expérimentale, le bénéfice net de 15,000 francs par an et par voiture, qui avait été prévu au début de la Société, apparaît nettement, comme devant être plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité.
La direction a profité de cette période de lancement pour conclure sur un autre terrain une opération avantageuse : Une première société filiale a été créée pour la construction , la vente et l'exploitation de ses appareils de cinématographie. Cette heureuse initiative aura un double effet : elle fera d'abord rentrer dans les caisses de la Société des sommes importantes qui lui permettront d'augmenter le nombre de ses tournées sans augmenter sensiblement son capital actuel ; elle lui laissera ensuite la plus entière latitude pour porter ses efforts sur l'exploitation des spectacles cinématographiques par automobiles, ce qui est le principal objet de ses opérations.
Si la cote à la Bourse n'a pas encore été demandée, c'est que la direction a estimé qu'il était préférable, dans l'intérêt mêmes des actionnaires, d'attendre que les résultats de l'exploitation et les avantages retirés de la première filiale soient établis d'une manière probante.
La prochaine assemblée générale se tiendra, suivant les statuts, avant fin juin prochain.
Le Petit Journal, Paris, 9 avril 1906, p. 5.
Il s'agit surtout de temporiser. Les tournées semblent bien mises en place, même si l'on est en droit de douter de l'efficacité de certaines dont on a que peu de nouvelles. En outre, l'on apprend qu'une filiale a été créée, dont le rôle est la construction, la vente et l'exploitation des cinématographes qui sont mis en vente. Enfin, la mise en bourse se fait toujours attendre, ce qui n'est pas a priori bon signe. On a du mal à partager l'optimisme du conseil d'administration. Dans un entrefilet, publié en avril, on découvre incidemment que les moteurs Delahaye sont utilisés par la Société :
On demande un chauffeur-mécanicien, connaissant bien la Delahaye, moteur horizontal. S'adresser 17, avenue du Roule, Société du Cinématographe Automobile.
L'Auto, Paris, 12 avril 1906, p. 6.
Au cours de l'assemblée générale du 29 juin, Louis Huet et Charles Louis sont nommés administrateurs de la société :
Société du Cinématographe automobile
À l'assemblée des actionnaires, le 29 juin, à l'usine de la société, 4,043 actions sur les 8,000 composant le capital social étaient représentées.
Les comptes ont été approuvés et l'assemblée a autorisé le conseil à répartir un dividende de 4% sur les résultats de l'exercice en cours.
MM. Louis Huet et Charles Louis, deux des plus forts actionnaires, ont été nommés administrateurs de la société.
Le procès-verbal de la séance ne donne pas de renseignements sur l'inscription à la cote du marché en banque des actions de la société.
Le Petit Journal, Paris, 9 juillet 1906, p. 5.
Par la suite, les informations se font rares. Des représentations sont encore données au cours de l'année 1907 : Gournay-en-Bray (janvier 1907), Paris (Les Halles, 1907) ... Finalement, en juin 1908, la société change de nom :
Paris.-Modifications aux statuts-Société DU CINÉMATOGRAPHE AUTOMOBILE, 19, boul. Malesherbes.-La dénomination devient Société du CINÉMATOGRAPHE PARLANT-30 juin 1908- G.P. (Pub. du 40 juillet).
Archives commerciales de la France, Paris, 5 août 1908, p. 986.
Quant à Alfred Bréard, il dépose un nouveau brevet (nº 391800, 30 juin 1908) pour un " système de synchronisation d'un phonographe et d'un cinématographe en réglant la vitesse du second appareil sur celle du premier. " Sans doute s'agit-il pour lui de contribuer au développement de la nouvelle société... Pour des raisons qui restent à élucider, en 1909, c'est son épouse Marie, Joséphine Delahaye qui dépose un brevet (nº 408191, 22 octobre 1909) pour une " cabine optique permettant de projeter une scène jouée par des personnages qui y sont renfermés ", une simple variante du théâtroscope de 1900. La dernière information concerne une déclaration de faillite :
Déclarations de faillittes
Jugement du 7 juin
Bréard, banquier, 56, rue de l'Arcade.-M. Gallin, J.-C.; M. Pruvost, S.
Le Journal, Paris, 8 juin 1910, p. 5.
Bibliographie
GIUSY Basile et Laurent MANNONI, " Le centenaire d'une rencontre : Auguste Baron et la synchronisation du son et de l'image animée " dans 1895, revue d'histoire du cinéma, n°26, 1998. pp. 3-88.
doi : https://doi.org/10.3406/1895.1998.1373
https://www.persee.fr/doc/1895_0769-0959_1998_num_26_1_1373
MEUSY Jean-Jacques, Paris-Palace ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Éditions, 1995, p. 92-93.
TOULET Emmmanuelle, " Le cinéma à l'Exposition universelle de 1900 ", Revue d'histoire moderne et contemporaine, Tome 33, nº 2, avril-juin 1986, Cinéma et société, pp. 179-209.