CHOSES D'AUVERGNE
La coupe Gordon-Bennett ramenée en France après le circuit du Taunus, se dispute en 1905 en Auvergne. C'est au pied du Puy de Dôme, devant les tribunes de Laschamps, que j'assiste au départ des autos.
Je dois me déplacer souvent pour recueillir les phases de la compétition, dans les virages les plus difficiles et dans les parties les plus accidentées du parcours. Comme il m'est interdit de traverser la route, je suis forcé de circuler sur les champs riverains. Leurs propriétaires, de sympathiques Auvergnats, n'ont pas manqué l'occasion. Ils ont grevé d'un droit de quelques francs l'utilisation éventuelle de leur terrain. Je paye évidemment sans discuter et je continue.
Mais près du village de Laqueuille, je me heurte à un groupe d'habitants plus intransigeants, qui me barrent nettement le chemin en criant : « Vous ne passerez pas ! » J'offre une indemnité ; rien à faire. Les villageois menacent, je menace à mon tour, et je braque de la main droite, dans leur direction, la manivelle de la plate-forme panoramique, qu'ils prennent pour un revolver.
Ce geste fait place nette.
Des femmes se sauvent en criant : « Au secours ! A l'assassin ! » Je vois peu après s'élever du talus la tête d'un gendarme. Le gendarme suit. Accompagné d'un de ses collègues, il accourt vers moi. Je m'explique et leur montre l'instrument avec lequel j'ai mis en fuite les gardiens farouches des propriétés auvergnates.
C'est en s'esclaffant devant les paysans ahuris que les deux braves pandores m'accompagnent de l'autre côté de la voie ou je poursuis mon travail.
Ce jour-là, Théry, dont la Richard-Brasier portait le nº 1, renouvelle sa victoire du Taunus, devant la Fiat de Nazzaro.
C'est sur sa voiture pleine de fleurs que je rentre à Clermont-Ferrand. Tandis qu'il traverse avec précaution une foule enthousiaste, j'enregistre près du gagnant les ovations dont il est l'objet.
Félix Mesguich, Tours de manivelle, Paris, Grasset, 1933, p. 87-89.